Jean-François Collin – De Rio à Marrakech. La lutte contre l’effet de serre


Jean-François Collin / mercredi 18 avril 2007

 

Qu’est-ce que le réchauffement climatique ? Le « temps qu’il fait » a toujours été un de nos sujets de conversation préféré, et ce n’est pas seulement pour éviter de dire des bêtises plus graves sur d’autres questions que nous en parlons, comme le suggère l’un de personnages du film « La fabuleuse aventure d’Amélie Poulain », c’est aussi parce que le climat, l’environnement atmosphérique physico – chimique conditionnent notre vie quotidienne. Il n’est donc pas anormal que nous nous en préoccupions, et que nous cherchions à agir lorsque des changements majeurs de celui-ci sont annoncés.

 

Qu’y a-t-il de nouveau dans ce domaine ? Tout simplement que l’activité humaine telle qu’elle se développe dans nos sociétés grosses consommatrices d’énergie et émettrices de gaz à effet de serre, entraînera, si rien ne change, un bouleversement important de cet environnement climatique.

 

Si l’impact de l’activité humaine sur le climat a été longtemps contesté, il ne l’est plus vraiment aujourd’hui.

 

L’air que nous respirons est constitué principalement de molécules diatomiques d’azote (N2), qui constituent 78 % de l’air sec, et de molécules diatomiques d’oxygène (O2), qui en représentent 21 %. Ces molécules de structure très simple, faites chacune de deux atomes identiques, n’absorbent quasiment pas dans l’infrarouge, et ne contribuent pas à l’effet de serre. Le dioxyde de carbone ou gaz carbonique (CO2) constituait 0,029% de l’air sec en 1900, il en constitue aujourd’hui 0,037%, soit une augmentation de 30 % en un siècle, due principalement à la combustion de carburants fossiles. Ces molécules ont une structure plus complexe que les précédentes, elles tournent et vibrent de différentes manières et absorbent ainsi efficacement le rayonnement infrarouge. Il en est de même pour les molécules de méthane, dont la concentration dans l’atmosphère a doublé en un siècle, qui contribue très efficacement à l’effet de serre. Cependant, le méthane finit par s’oxyder et ne réside pas très longtemps dans l’atmosphère. La vapeur d’eau contribue également de façon significative à l’effet de serre, tout comme les CFC (chlorofluorocarbones) dont la fabrication est désormais interdite, depuis la signature du protocole de Montréal en 1987.

 

A défaut de changer d’ère, nous changeons l’air. Depuis un siècle ; la composition de l’atmosphère change rapidement. La concentration de C02 qui était de 270 ppm (particules par millions) en 1700 est passée à 315 ppm en 1957 et 370 ppm en 2000. Une telle augmentation n’a pas rien de commun avec ce qui a été enregistré au cours des milliers d’années précédentes. La concentration de méthane a plus que doublé, passant de 0,7 à 1,5 ppm.

 

L’effet de serre n’est pas apparu au XXème siècle ; il existe depuis longtemps, et c’est grâce à lui que nous connaissons sur notre planète une température moyenne assez clémente, de l’ordre de 14° alors qu’elle serait de -18° si une partie du rayonnement terrestre n’était pas piégée par notre atmosphère. En revanche, l’augmentation significative de ce piégeage, et le réchauffement mesurable du climat qui s’en suit, évalué à 0,7° en moyenne dans les vingt cinq dernières années sont préoccupants. Ils provoqueront des bouleversements climatiques sur d’importantes zones géographiques, rendant désertiques des régions jusque là correctement arrosées, entraîneront la multiplication des accidents climatiques violents sources d’importantes dévastations et de nombreuses morts. Des régions côtières seront submergées, obligeant les populations à se déplacer. Certains pays sont particulièrement menacés, comme le Bangladesh par exemple. On évoque également l’évolution de certaines maladies et du nombre de personnes touchées.

 

Nous sommes donc bien en présence d’un problème environnemental sérieux, qui comme toutes les questions environnementales ne peut trouver de solution que globale, et nécessite la mise en oeuvre d’accords et de dispositifs de coordination au niveau mondial si nous voulons parvenir à une solution efficace.

 

La lutte contre le changement climatique, une priorité ?

 

Il n’est pas inutile de se demander pourquoi la négociation internationale sur le climat a pris une telle importance dans l’agenda des rencontres internationales consacrées à l’environnement. En effet, sans contester les risques que les bouleversements climatiques font peser sur a planète, il est juste de dire que bien d’autres périls nous menacent, qui ne font pas l’objet d’une telle attention. Le sommet de la terre de Rio en 1992 a entériné par exemple une convention relative à la lutte contre la désertification ou une autre consacrée à la biodiversité. Celles-ci ont été suivies de peu d’actions concrètes, et n’ont pas suscité d’intérêt particulier depuis dix ans, ni de la part des acteurs de la vie politique, ni de la part des observateurs et des médias.

 

Un accord international sur le commerce des OGM a été négocié et conclu dans la plus grande indifférence, par des fonctionnaires, à Montréal, alors qu’il est d’une grande portée, notamment parce qu’il oblige les pays exportateurs d’OGM à en assurer la traçabilité, de façon à permettre aux importateurs d’exercer les contrôles qu’ils souhaitent. Mais cette grande victoire pour tous ceux qui s’intéressent à l’environnement n’a pas mobilisé au – delà des cercles de spécialistes du sujet, tout au plus certains ministres sont-ils venus quelques mois plus tard ratifier ce protocole.

 

La biodiversité ne mobilise pas plus fortement les dirigeants politiques et l’opinion publique mondiale. Le sort des baleines, des bébés phoques ou des éléphants parvient bien à émouvoir une partie des opinions publiques ; en revanche, la réduction dramatique du nombre des variétés cultivées ou des espèces animales domestiques ou sauvages, ne suscite qu’une faible prise de conscience. De même, la lutte contre la désertification n’aura-t-elle recueillie que des moyens dérisoires au cours des dix dernières années.

 

L’intérêt suscité par le changement climatique résulte de la conjonction de plusieurs facteurs, n’ayant a priori pas grand chose en commun. Il est étonnant de constater, en effet, que trois ans seulement séparent le premier chiffrage d’un changement climatique à l’horizon 2100, par les modèles élaborés par les experts, de l’adoption d’une convention sur le climat par la conférence de Rio. C’est un laps de temps d’une brièveté exceptionnelle pour élaborer une convention internationale sur un sujet aussi complexe et contesté, car à l’époque il l’était.

 

Cela n’a été possible que grâce à la convergence d’intérêts pourtant contradictoires. Ceux des experts, d’abord, car le réchauffement cli
matique est le type de modification « invisible » de l’environnement, qui ne peut être mis à jour, et donc devenir un sujet politique que si les « experts » identifient le problème. Plusieurs accidents climatiques violents ne suffisent pas, en effet à caractériser un changement climatique. De fait, cette négociation internationale suscitera un engouement qui ne s’est pas démenti, de la part des experts qui y ont vu un terrain d’expérimentation exceptionnel de leurs théories.

 

Les Etats-Unis, à la fin des années 1980, s’inquiétaient d’un mode de développement très énergétivore, qui pose à terme de redoutables problèmes de sécurité pour la première puissance mondiale, et donne à la situation politique au moyen Orient une très grande importance. A. Schlesinger, secrétaire d’Etat américain de l’époque, s’inquiétait en 1989 de la réticence de ses concitoyens à accepter une discipline en matière de maîtrise des consommations énergétiques, et expliquait qu’elle serait peut-être mieux acceptée si elle était imposée pour des motifs environnementaux. On n’avait pas oublié à l’époque la crise de 1973, et personne ne considérait comme inépuisables nos réserves d’énergie fossile.

 

La France n’était pas mécontente d’engager une négociation dans laquelle elle pensait pouvoir démontrer au reste du monde la supériorité de ses choix de politique énergétique, et la place que le nucléaire y occupait ; cette volonté ne s’est pas démentie pendant le cours de toute la négociation. Plus globalement, l’Europe et le Japon s’inquiétaient également de la croissance des consommations énergétiques et rejoignaient les préoccupations américaines de cette période.

 

C’est dans ces conditions qu’a été engagée la négociation qui devait déboucher sur l’adoption de la convention de Rio sur le climat. Mais comme toujours, ces conditions de départ ont très vite évolué, et l’élection de G. Bush père, puis la guerre du Golf allaient très vite changer la donne.

 

Cette négociation pose depuis l’origine quelques grandes questions qui ont été plus ou moins bien résolues depuis 1992 Quels pays doivent-ils prendre des engagements ? Les pays en développement doivent-ils en prendre comme les pays développés ? Quels types d’engagements les pays signataires de la convention doivent-ils prendre ? Quelle force contraignante faut-il donner à la convention, et comment faire respecter les engagements pris ?

 

Première question : les PVD doivent – ils prendre des engagements de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, au même titre que les pays développés, alors que leurs émissions globales et par habitant sont très inférieures à celles de tous les pays développés, y compris le plus nucléarisé d’entre eux, la France. Les PVD y étaient naturellement très opposés, considérant à juste titre que cela reviendrait à figer pour l’éternité les inégalités de développement actuelles, à leur interdire de se développer, et finalement à décider qu’un habitant du Nord avait un droit supérieur à celui du Sud de porter atteinte à notre environnement climatique, alors même que les pays du Sud risquent d’être les principales victimes des bouleversements annoncés.

 

Les Etats Unis, de leur côté, ont beaucoup insisté pour que les PVD prennent des engagements, arguant du fait que la convention serait privée de tout impact environnemental réel si elle laissait de côté des pays très peuplés et en fort développement comme la Chine ou l’Inde, qui représentent pour demain de très gros émetteurs potentiels de gaz à effet de serre. A quoi bon donc pénaliser les économies du Nord si au bout du compte la préservation du climat n’est pas assurée par un effort global et coordonné ?

 

Finalement, c’est bien l’idée d’un traitement différencié entre pays développés et PVD qui sera retenue, seuls les premiers, ceux qui figurent dans la liste A de l’annexe 1 de la convention cadre sur le changement climatique devant prendre des engagement de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Pour les PVD, il est entendu qu’il faudra bien qu’ils en prennent un jour, eux aussi, mais le terme n’est pas précisé. En attendant, la négociation doit permette de préciser l’aide financière, technologique et intellectuelle, que les pays développés leur apporteront pour qu’ils mettent en œuvre dès maintenant un mode de développement plus durable que ne l’aura été le nôtre. Elle devra également préciser les conditions dans lesquelles les représentants des PVD doivent être associés au dispositif de contrôle de la mise en œuvre de la convention et de ses protocoles d’application, ce qui ne fut pas une mince question.

 

L’idée la plus pertinente qui a été avancée dans le cours de la négociation pour lier solidement les PVD à l’issue de la négociation l’a été par le militant indien Anil Agarwall, récemment décédé. Elle consistait à fixer le principe d’un droit égal à émettre des gaz à effet de serre pour tous les habitants de la planète, ce qui aurait donné aux PVD une créance considérable sur les pays développés, justifiant de façon incontestable les transferts du Nord vers le Sud comme un dû et non comme une concession accordée par des donateurs plus ou moins généreux. De cette façon aurait été introduite l’idée d’une convergence à terme des émissions par habitants. Cette proposition ne sera pas retenue, notamment en raison des difficultés théoriques et pratiques qu’elle soulevait, puisqu’il aurait fallu à la fois définir le volume de gaz à effet de serre que la planète était en mesure de supporter à terme, et appliquer une clé de répartition entre tous difficile à déterminer pour qu’elle soit équitable.

 

Finalement, la réponse aux légitimes demandes des PVD consistera en un mélange de transferts financiers et de mise en œuvre de « mécanismes de flexibilité », sur lesquels nous reviendrons, qui sont d’abord une solution pour les pays développés avant d’en être une pour les PVD.

 

Seconde question : quels types d’engagements les signataires de la convention doivent-ils prendre ? Deux approches s’opposaient au début de la négociation. L’une préconisait la mise en œuvre de politiques coordonnées de réduction des émissions en instaurant une taxe sur les émissions de GES, harmonisée entre les pays développés. Elle avait la préférence des économistes et experts européens, et de la majorité des pays membres de l’Union européenne, pendant la préparation du sommet de Rio. Les Etats Unis s’y opposaient, G. Bush père venant d’être élu sur un programme de réduction d’impôts et de refus de création de toute nouvelle taxe. Ils préconisaient donc de fixer des engagements en termes de quotas d’émission autorisés par pays, fixés de telle sorte qu’ils correspondent à une réduction des émissions constatées en 1990. Les pays exportateurs de pétrole n’étaient pas non plus favorables à une taxation dans laquelle ils voyaient un moyen pour les pays riches de capter une partie de la rente pétrolière.

 

La position européenne devait voler en éclat avant même le sommet de Rio, en raison de l’opposition de la France à un projet d’éco-taxe européenne calculée à la fois sur le contenu en carbone et sur l’énergie consommée. La France n’était prête à accepter qu’une taxe sur le carbone, conforme à ses intérêts, plutôt à ceux de son industrie nuclé
aire, mais inacceptable par les autres pays de l’Union européenne.

 

C’est donc la fixation de quotas d’émissions par pays qui devait l’emporter à Rio, assez peu contraignants puisqu’il s’agissait de revenir en 2000 au niveau des émissions de 1990. Cette décision fut accueillie avec une relative satisfaction par des ONG qui considéraient qu’il était plus rassurant et contraignant de raisonner en termes de quotas d’émission qu’en termes de taxation de celles-ci, des doutes existant sur l’efficacité de cette dernière, et aussi parce qu’une taxe peut être interprétée comme l’achat d’un droit à polluer dès lors que l’on en acquitte le montant. La suite devait montrer que derrière les quotas se cachait le marché des permis d’émission.

 

On allait bientôt se rendre compte du caractère insuffisant des engagements pris à Rio, et de la nécessité de les durcir. Ce fut l’objet des conférences de Bonn en 1995 puis de Kyoto en 1997.

 

Le protocole de Kyoto fixe un objectif moyen de réduction des émissions de GES des pays développés de 5,2% en 2010 par rapport au niveau atteint en 1990. Ce niveau moyen correspond à des engagements différents pour chaque pays : -7% pour les Etats Unis, -8% pour l’Union européenne et au sein de cette dernière une stabilisation des émissions pour la France et une réduction de 21% pour l’Allemagne.

 

Ce durcissement des engagements pris n’a été accepté par les Etats Unis que moyennant l’introduction de « mécanismes de flexibilité » qui lui permettront de remplir ses engagements, au moins en partie, par d’autres moyens que la réduction effective de ses émissions.

 

Il s’agit en premier lieu de la possibilité de créer et d’échanger des permis d’émission négociables entre entreprises et entre pays. En clair, une entreprise, ou un pays, qui doit réduire ses émissions de 20 TEC et qui n’aurait réussi à les réduire que de 15 TEC pourra acheter des permis équivalents aux cinq qui manquent, pour peu qu’il trouve un vendeur, c’est à dire une entité qui aura été au-delà de ses propres obligations de réduction d’émissions.

 

Du point de vue de l’efficacité environnementale, il n’y a en théorie rien à dire, puisque le système ne fonctionne que si globalement l’objectif de réduction des émissions est atteint, parce qu’il faut trouver des vendeurs en face des acheteurs.

 

Du point de vue moral, un marché de permis d’émission n’est pas plus critiquable qu’une écotaxe : dans les deux cas il s’agit bien de pénaliser une « pollution » en prélevant une somme d’argent, ou de s’acquitter de ses obligations en payant plutôt qu’en supprimant la source de perturbation de l’environnement.

 

Politiquement, ce dispositif, très critiqué par une partie des ONG et des militants environnementaux, présentait l’avantage de faciliter la négociation avec les Américains qui étaient prêts à payer des permis sur un marché, mais refusaient de payer une taxe à une administration pour le même motif.

 

Ce marché des permis d’émissions, qui figure dans les textes approuvés depuis 1997 présente cependant de nombreux éléments d’incertitude. La Russie dispose d’un énorme crédit d’émissions en raison de la chute de l’activité industrielle qu’elle a connue après 1989, qui a réduit d’un tiers ses émissions par rapport à 1990. A lui seul, ce crédit, s’il était mis sur un marché pourrait représenter l’essentiel de la réduction que doivent opérer tous les autres signataires. On pourrait donc imaginer une situation dans laquelle tout le monde aurait rempli ses obligations en achetant à vil prix des permis à la Russie, sans que les émissions de CO2 n’aient été réduites d’une seule tonne.

 

Par ailleurs, si l’on sait facilement instaurer une taxe et la recouvrer, personne ne sait comment pourra fonctionner un tel marché, qui en sera l’organisateur et le régulateur. On peut penser que des marchés dérivés vendront se greffer sur celui-ci comme sur les autres, avec des effets imprévisibles. Brefs le climat pourrait devenir aussi une bonne affaire…

 

Comme cela ne suffisait pas, il a fallu introduire d’autres mécanismes de flexibilité dans le dispositif initial. Les « mécanismes de développement propre » permettent à un pays développé d’acquérir des permis d’émission supplémentaires en investissant dans des technologies non polluantes au sud. Il se trouve crédité des émissions évitées dans le PVD considéré. On voit quelles redoutables questions d’évaluation cela peut poser : quelle référence sera prise en considération, comment calculer les émissions évitées, qu’est-ce qu’une technologie propre ? C’est ainsi que D. Voynet, puis Y. Cochet ont dû ruser avec la position officielle du gouvernement français qui voulait utiliser ces mécanismes de développement propre pour en faire un moyen de promotion du nucléaire dans le tiers monde ! Le rêve du lobby nucléaire aurait été réalisé, le nucléaire aurait été érigé au rang de fer de lance de l’environnement à travers le monde. Heureusement, le manque d’enthousiasme de nos partenaires a permis d’éviter que le nucléaire figure dans une liste positive de « technologies non polluantes ».

 

Autre trouvaille qui mérite d’être mentionnée, celle des « puits de carbone ». Ici se trouve désignée la capacité des plantes, du sol et des océans à absorber du carbone. Très vite l’idée est venue que le fait de planter de la forêt pouvait constituer une alternative à la réduction des émissions de CO2. Ce sujet, au départ anecdotique, devait prendre de l’importance à LA Haye puis à Bonn et Marrakech.

 

Le résultat de la conférence de Kyoto, en 1997, était donc contrasté. D’un côté le protocole d’application de la convention de Rio renforce les exigences initiales de 1992, de l’autre, il introduit des mécanismes qui apparaissent comme autant d’échappatoires possibles à la réalisation effective de ces engagements.

 

Quel dispositif de sanction et de contrôle ?

 

La conférence de La Haye de l’automne 2000, devait donc résoudre des difficultés considérables : garantir que les mécanismes de flexibilité ne transforment pas le protocole de Kyoto en chiffon de papier sans portée environnementale ; mettre en place un dispositif de contrôle et de sanction efficace du dispositif, dans un domaine qui ne connaît rien de comparable à l’organisation mondiale du commerce (OMC) ; trouver un terrain d’entente avec les PVD qui attendaient surtout des gestes forts d’engagement dans une politique de soutien à leur développement ; trouver un accord avec les Etats unis, dans une situation où le président Clinton n’exerçait plus qu’un pouvoir intérimaire dans l’attente de la prise de fonction de G. Bush junior.

 

L’union européenne, présidée par la France, choisit de concentrer la négociation sur trois points : L’effectivité des efforts de réduction consentis par chaque signataire de la convention. Cette idée s’incarnait dans l’exigence d’un plafond aux possibilités de recours aux mécanismes de flexibilité, qui aurait garanti que la moitié au moins des engagements de chaque pays était remplie par des réductions effectives d’émissions résultant des politiques nationales mises en œuvre. La mise en place d’un système efficace de contrôle et de sanction des engagem
ents pris, baptisé « observance » dans le jargon propre à cette négociation, système devant comprendre des sanctions financières en cas de non – respect. La stricte limitation du recours aux puits de carbone dans la mise en œuvre du protocole.

 

La conférence de La Haye n’a pas pu aboutir à un accord, en dépit des efforts de D. Voynet, et elle a décidé de suspendre ses travaux jusqu’à une nouvelle rencontre à l’été 2001, à Bonn.

 

Les raisons de cet échec sont les suivantes. La division des Européens, au-delà des déclarations d’intention générale, était bien réelle. Elle s’est manifestée par la publication d’une tribune des ministres allemand et britannique dans plusieurs quotidiens européens, à la veille de l’ouverture de la conférence de La Haye, sans que ceux-ci aient pris la peine d’en informer la Présidente en exercice. La tentation anglaise affichée de conclure aux conditions américaines, traduite dans les déclarations, presque unanimement condamnées du ministre Prescott à l’issue cette conférence, n’ont pas facilité le travail des négociateurs. Le jeu solitaire du ministre allemand, qui changea de pied plusieurs fois au cours de la semaine fut un autre facteur d’affaiblissement de la position européenne. La délégation américaine ne jouissait plus d’aucune légitimité pour prendre des décisions qui auraient représenté une modification substantielle de la position des Etats Unis, et chacun savait que le véritable enjeu était d’obtenir ensuite la ratification de l’accord par le congrès. Le projet d’accord présenté par le président de la conférence, le Néerlandais Y.Pronk, présentait l’inconvénient de mettre à l’écart de la négociation les PVD, qui dès lors ont joué le rôle de spectateurs mécontents d’un spectacle qui se jouait sans eux. Les ONG, très présentes à cette conférence, ont pesé dans le sens du durcissement des positions et exercé un contrôle vigilant sur toute tentation de compromis par rapport à la position de départ de la négociation affichée par l’Union européenne.

 

Insensiblement cependant, la négociation s’est déplacée pendant la semaine du débat sur la « supplémentarité » et le respect d’un plafond dans le recours aux mécanismes de flexibilité, vers la négociation des conditions de contrôle et de sanction des engagements, considérées comme la condition la plus importante pour la mise en oeuvre effective du protocole, tandis que se déroulait un marchandage sur les tonnes de carbone accordées aux uns et aux autres au titre des puits, pour alléger d’autant l’ampleur des réductions effectives d’émissions auxquelles ils devraient procéder.

 

Les conférences de Bonn puis de Marrakech devaient confirmer ce glissement, qui au bout du compte aura permis la ratification d’un accord par une majorité de pays, à l’exception notable des Etats Unis, et avec des précautions de langage obscures de la part des Japonais.

 

Schématiquement, l’accord passé à Bonn et complété à Marrakech représente un compromis dans lequel l’Union européenne et le G77 (qui regroupe l’essentiel des pays en développement), ont obtenu des garanties sur le dispositif de contrôle et de sanction, tandis que les Etats Unis et les pays du groupe de l’Umbrella obtenaient un allégement global de leurs engagements effectifs de réduction des émissions et de l’effort auquel ils doivent consentir pendant la première période d’engagements.

 

Le dispositif de contrôle mis en place comprend deux branches : une branche dite facilitatrice, qui sera chargée du suivi permanent des actions mises en œuvre, des rapports remis de façon obligatoire par chacune des parties, et qui fera des recommandations ; une branche coercitive, qui, comme son nom l’indique, est chargée de décider et mettre en œuvre des sanctions. En cas de non-respect des engagements pris, le pays considéré devra réaliser au cours de la période suivante les engagements non tenus augmentés de 30% en plus des engagements courants que tous devront réaliser, cela en étant privé du recours au marché des permis négociables. Il devra également mettre en œuvre un plan d’observance susceptible de corriger les problèmes structurels cause des retards dans l’accomplissement des obligations. Une structure administrative est mise en place pour suivre la mise en œuvre des mécanismes de développement propres.

 

C’est une structure originale qui voit ainsi le jour, puisque au-delà de la règle qui prévaut habituellement pour les traités signés sous l’égide de l’ONU, selon laquelle l’engagement des parties par leur signature se suffit à elle-même, un organisme de contrôle, investi d’un pouvoir de sanction est établi, qui pourrait préfigurer une future « organisation mondiale de l’environnement ». De ce point de vue, c’est un pas en avant très significatif dans la construction d’un droit international de l’environnement, et surtout, dans son effectivité. Seul le commerce mondial disposait jusque là d’une organisation dotée d’un véritable tribunal, l’organe de règlement des différends, susceptible d’arbitrer des conflits et de prononcer des sanctions en cas de manquement aux règles de l’OMC. L’organisation internationale du travail, ne dispose pas d’un tel pouvoir, pas plus que celle de la santé. C’est donc bien une forme de reconnaissance de l’importance des questions environnementales dans les relations internationales, de leur caractère global, qui a vu le jour à Marrakech.

 

En revanche, l’Union européenne a abandonné l’idée d’une limitation du recours aux mécanismes de flexibilité, notamment aux permis d’émission, même si l’accord précise que les mécanismes apportent un complément aux mesures internes, mais sans préciser quelque limitation quantitative que ce soit. De plus d’importantes concessions ont été faites à la Russie, au Canada et à d’autres, en termes de puits de carbones, pour leur permettre de signer cet accord. Il s’ensuivra une réduction notable de l’effort effectif de limitation des émissions de GES réalisé par les parties à cet accord.

 

Cet accord a pourtant été accueilli avec soulagement de tous côtés, tant était forte la crainte d’un échec définitif du processus engagé à Rio, en raison de l’attitude américaine. Au fond, le sentiment prévaut qu’il fallait en priorité engager le mouvement, créer les conditions irréversibles d’une démarche coordonnée, s’assurer de la constitution d’organes internationaux capables de veiller dans la durée à la poursuite des efforts, quitte à lâcher du lest sur l’importance des efforts réels à court terme.

 

Quelques réflexions en guise de conclusion.

 

Les enjeux réels de la négociation ont tendance à disparaître, avec le temps, derrière la technicité d’un sujet qui est progressivement accaparé par les experts de la négociation. Les scientifiques regroupés dans le GIEC considéraient que l’engagement de réduction des émissions de GES pris à Kyoto, de 5,2%, était très insuffisant pour répondre à la menace de bouleversement du climat, et qu’elle ne pouvait être qu’un premier pas dans un effort soutenu et plus important. En effet, il ne suffit pas de prendre en compte les flux annuels d’émissions, mais leur accumulation dans l’atmosphère année après année. De ce point de vue, l’accord final est en retrait par rapport à cet objectif initial déjà insuffisant. Il représentera pourtant déjà un effort significatif, puisque depuis 1990 les émissions globales de gaz à effet de serre des pays développés
ont augmenté de 11% au lieu de diminuer. Le principal mérite de l’accord de Marrakech, s’il est correctement appliqué, sera d’inverser la tendance, et de conduire progressivement les gouvernements des pays du Nord à chercher les moyens d’une croissance moins consommatrice d’énergies fossiles.

 

La négociation internationale n’a de sens que si elle est relayée par la mise en œuvre de politiques adaptées dans chaque pays. De ce point de vue, la France a déjà pris du retard. Si tout le monde était prêt à tenir de mâles discours sur l’égoïsme et l’irresponsabilité américaine, l’unanimité n’était plus de mise lorsqu’il s’est agit d’arrêter puis de mettre en œuvre un plan national de lutte contre le changement climatique. Le gouvernement de Lionel Jospin en a adopté un au début de l’année 2000, mais celui-ci achoppait dès le début de l’automne de la même année sur la révolte des routiers contre la hausse des carburants, puis sur l’opposition des industriels à la création d’une taxe sur les consommations intermédiaires d’énergie. Cette mesure figurait pourtant en bonne place dans le programme national en question, et devait même entraîner une réduction significative des émissions de carbone. La censure par le Conseil constitutionnel d’un dispositif devenu très contestable au fil des arbitrages interministériels puis des amendements parlementaires n’était pas imprévisible. Mais ce sont des raisons politiques, et non juridiques, qui ont conduit le Premier ministre à ne pas remettre l’ouvrage sur le métier pour parvenir à un projet acceptable.

 

La négociation sur le climat a mis en évidence toutes les difficultés qui sont liées à la gestion coordonnée de problèmes environnementaux qui se posent au niveau mondial. Sans même parler des conflits d’intérêts qui sont inévitables, la première difficulté consiste à réunir un consensus politique et scientifique suffisant sur le problème à traiter. Le caractère invisible des processus à l’œuvre, le fait qu’ils soient impossibles à mesure pour le commun des mortels, donnent aux « experts » un poids considérable dans la préparation et la conduite de la négociation. Experts du climat en premier lieu, mais pas seulement ; les économistes se sont appropriés le sujet avec délectation, construisant des modèles de simulation du fonctionnement d’un marché de permis démission négociables qui faisaient apparaître un prix d’équilibre à dix ans avec autant de certitude que votre concierge prévoit la pluie du lendemain lorsque ses vieilles douleurs la font souffrir. Certains responsables politiques ont pris cette expertise avec précaution et ils ont eu raison. Ces modèles ignorent justement le poids du politique, des dynamiques sociales, des rapports de forces sur le fonctionnement du marché, celui du climat comme les autres. S’ils pouvaient le faire, leurs résultats en seraient profondément affectés, mais il faudrait pour cela que toute vie ait disparu, laissant place aux seules actions rationnelles d’individus parfaitement informés, confrontant leurs actes dans un marché de concurrence pure et parfaite. Bref que l’on vive dans un rêve ou dans un cauchemar, c’est selon…

 

Les questions d’environnement ne peuvent pas être appréhendées sous le seul angle de la science et de l’administration des biens collectifs, même si la science peut apporter de précieuses analyses aux citoyens et aux décideurs, et si l’administration est une activité respectable. La définition a priori d’un objectif quantitatif à atteindre, lorsque le résultat dépend de milliards de décisions individuelles est un exercice périlleux, dont l’aboutissement risque de n’être assuré que par la mise en place d’un appareil bureaucratique démesuré, mettant en œuvre non pas les décisions des responsables politiques ayant reçu délégation des citoyens, mais celles d’un groupe de spécialistes, qui considèrent que leur spécialité résume l’intérêt général.

 

La coordination des efforts de tous les pays est nécessaire pour parvenir à un résultat. La mise en place d’une instance internationale de contrôle du respect de la règle du jeu est une bonne chose, si elle s’intéresse à la réalité des actions conduites plutôt qu’à la construction d’un appareillage juridique sophistiqué qui finit par ne plus obéir qu’à sa propre logique.

 

La lutte contre le changement climatique ne sera gagnée que si nous modifions en profondeur notre façon d’habiter, de nous déplacer, de travailler, de vivre en un mot. Un tel résultat ne sera pas obtenu simplement par des mesures de régulation internationale. Considérons que maintenant cela est fait. Le plus dur reste à faire : faire évoluer les mentalités ; donner à tous les moyens de changer leur mode de vie de façon pratique et quotidienne ; trouver des alternatives, pas seulement techniques, mais d’abord sociales et politiques à un mode de développement qui nous conduit à la catastrophe. La tâche est énorme ; elle est passionnante. Après le temps de la négociation internationale est venu celui de l’innovation, de la coopération, en commençant par le renforcement du travail avec les pays de sud, pas seulement pour leur transférer nos technologies, mais aussi pour apprendre d’eux ce que nous avons perdu.