David Western – La nature comme laboratoire ultime


David Western / dimanche 2 avril 2006

 

 

 

La Nature  comme Laboratoire Ultime

 

David Western

 

La science nous a permis de tester des atomes et d’explorer le cosmos, et les technologies nous ont fourni les moyens de modifier les gènes et de restructurer les écosystèmes en fonction de nos besoins. Pourtant, malgré toute notre connaissance et nos savoir-faire, c’est ce que  nous ne connaissons pas et que nous ne voulons pas qui risque d’appauvrir nos vies et de menacer notre avenir. Malgré toutes les manipulations que nous pouvons faire dans les laboratoires, nous restons très ignorants sur le monde naturel et sur la façon de vivre à l’intérieur de ses limites. J’utilise ici des recherches faites chez les Amboseli au Kenya pour explorer le  processus qui crée et qui conserve la diversité  de la faune dans l’écosystème de la savane. Aujourd’hui , le peuple rural Masai est tout autant menacé que la faune en raison de la dégradation de ce processus. Comprendre la nature dans le monde moderne comme un lien étroit entre culture, économie et écologie est la clé pour le développement durable de l’écosystème Amboseli et de toute la planète terre.

Mon laboratoire s’appelle la nature. Je commencerai par montrer comment nos idées sur ce qu’est la nature ont changé durant toute l’histoire.

Partons de la préhistoire : nous voyons une origine humaine commune, où les humains et la faune sauvage vivent dans un étroit voisinage. Aujourd’hui, en Occident, nous voyons la préhistoire comme une époque où la nature (considérée comme sauvage et non domestiquée) et l’humanité ne faisaient qu’un. Historiquement, nous nous voyons nous séparer de la nature au fur et à mesure que nous devenons plus nombreux et que nous devenons meilleurs pour détruire, contrôler et domestiquer les espèces menaçantes.

En Europe, la vie sauvage commence à disparaître du paysage humain en expansion dès l’époque de la Grèce Antique. Sur les fresques, nous voyons les lions et les soldats Grecs unis dans un combat mortel. Au 15 eme et 16 eme siècle, ces grands mammifères menaçants ont tous disparu. Nous voyons désormais des campagnes bucoliques dans les tableaux de l’époque, remplis de personnes et d’animaux domestiques dans un paysage cultivé. Où est passé la faune sauvage ? Elle s’est évanouie en Europe au début de l’ère industrielle et, quand on la considérait du point de vue de la ville, cette ville sinistre dans le brouillard, la nature devint le paysage rural domestiqué, le champ du fermier, les haies et les troupeaux. Nous rêvons avec nostalgie à cette harmonie perdue, que l’on voit dans les tableaux romantiques de Rousseau où humains et bêtes sauvages vivent en paix.

Dans cette vision dichotomique, intervient la science. En utilisant une méthode réductionniste, elle divise cette entité séparée appelée “ nature ” et elle étudie ses composants en laboratoire. Voici un scientifique regardant des microbes sous un microscope pour comprendre leur signification pour la santé humaine. Sont-ils des amis ou des ennemis ?

Dans le monde occidental, la méthode scientifique a particulièrement bien réussi à expliquer le domaine physique et la nature microscopique. Elle est moins bien parvenue à expliquer comment  les grands écosystèmes et la planète fonctionnent. Désormais, nous commençons à réaliser que nous sommes aussi étroitement reliés à la nature que nous l’avons toujours été, que la diversité biologique, des plus grandes aux plus petites espèces, possède une valeur intrinsèque et est aussi vitale sur le plan matériel pour le bien des humains et de la planète. Et pourtant, sur le plan scientifique, nous continuons à présenter la nature comme séparée et susceptible d’être réduite, ce qui arrive dans d’autres parties du monde, mais non dans le monde occidental. Les scientifiques persistent à réduire les phénomènes complexes à de petits fragments que l’on peut gérer pour mieux les comprendre. Ce dont nous manquons, c’est l’inverse du microscope, un macroscope qui nous permette d’étendre le regard au dehors et de voir le monde entier comme un tout en interaction.

Néanmoins, je voudrais montrer que la méthode scientifique peut être adaptée à un écosystème total. Cependant, pour y parvenir, nous devons inclure l’humanité comme partie intégrante de ces écosystèmes, et arrêter de prétendre que nous vivons dans des mondes séparés.

Mon théâtre, c’est la savane africaine. Visuellement, c’est un des paysages les plus évocateurs sur terre, comme si nous avions dans nos gènes, une prédilection pour la terre de nos ancêtres.  L’Afrique est le dernier continent où de grands mammifères, comme les panthères, les lions, les buffles, les éléphants ou les rhinocéros vivent comme au temps du Pleistocene. Partout ailleurs, les humains ont éradiqué les grands mamm
ifères. Mais, si c’est le cas, pourquoi la vie sauvage continue-t-elle à coexister avec les humains en Afrique et non ailleurs ?  Cette coexistence se reflète dans l’art africain et s’oppose au combat représenté dans l’art européen. De nombreuses sociétés africaines se considèrent comme vivant au sein de la nature et non en dehors, comme nous le verrons.

Comment appliquer la méthode scientifique pour comprendre la savane ?

Nous pouvons commencer par faire ce que la science sait bien faire : poser des questions pertinentes, ici quatre questions :

1)      qu’est ce qui caractérise les savanes ?

2)      comment fonctionnent-t-elles ?

3)      qu’est ce qui les menace ?

4)      comment peut-on les préserver ?

Je voudrais montrer que les méthodes scientifiques peuvent s’appliquer à chacune des questions.

Commençons par ce qui caractérise les savanes. Les grand mammifères, les éléphants, les rhinocéros, les buffles, et d’autres, dominent les savanes. Les savanes acceptent des densités extraordinaires d’animaux. Pensez que le Serengeti supporte des milliers de bêtes sauvages qui se déplacent dans le paysage. On constate aussi une diversité d’espèces inhabituelle, quinze herbivores et carnivores différents sur la même vue. Par contraste, en Europe ou en Amérique, vous pourriez -avec un peu de chance!- en voir trois. Puis, il y a aussi les grandes migrations. Dans les savanes, les grands mammifères se déplacent sur de grandes distances selon les saisons. Une autre caractéristique est la coexistence des humains et de la vie sauvage. Finalement, dans ce laboratoire mobile et vivant, je voudrais mettre en valeur une espèce clé : l’éléphant. Le rôle essentiel joué par l’éléphant  et son interaction avec les humains nous fournissent une expérimentation semi-naturelle qui montre la subtilité du maintien de la biodiversité dans la savane.

Expliquons maintenant comment la savane fonctionne en expliquant l’abondance des animaux, la richesse des espèces, la mobilité, la coexistence et les espèces-clés. Le laboratoire que je vais utiliser, c’est l’écosystème Amboseli, où j’ai travaillé pendant les dernières 32 années. Voici le Kilimandjaro en arrière-plan, descendant vers le Parc National Amboseli au premier plan. Je voudrais montrer qu’une étude de long terme des humains et de la faune au sein de l’écosystème peut éclairer le fonctionnement de la savane. Puis en étendant l’étude à 144 écosystèmes, je montrerai les mêmes mécanismes à l’œuvre dans toutes les savanes africaines. C’est la méthode comparative qui rend la science si puissante pour étudier et comprendre la nature.

Voici une scène d’ Amboseli avec des éléphants au premier plan et la Kilimandjaro en arrière-plan. Plus typiques sont les scènes avec des espèces moyennes ou petites, parfois des milliers par kilomètres carrés. Les premiers explorateurs européens en Afrique Orientale furent frappés de peur en constatant leur abondance sur des pâturages aussi arides.

Une des raisons qui explique leur abondance est la séparation des espèces entre habitats et niches.  Voici un graphique représentant des milliers de mesures montrant que chaque espèce préfère un pâturage spécifique, les grandes espèces dans  les grandes herbes, les petites dans les petites herbes. Ils ont divisé l’écosystème selon leur taille et selon leurs préférences alimentaires. Cette séparation conforte la théorie de la niche en  écologie, la division des ressources selon les préférences alimentaires et autres. Cette théorie explique en partie l’abondance des espèces, mais il y a une autre raison. Chaque espèce se déplace dans le paysage à des moments différents, les plus petits suivant souvent les plus grands selon la succession des pâturages, en fonction de leur besoins de nourriture.

Nous apprenons aussi des stratégies d’élevage des Massaïs et des tests de performance en laboratoire, que les grands mammifères, loin de maintenir un taux de métabolisme constant, font tomber leur consommation d’énergie de 40 à 50% lorsque la nourriture devient rare. Un tel système d’économie d’énergie signifie que beaucoup plus d’animaux peuvent être acceptés dans les savanes sèches que nous n’aurions pu l’anticiper à partir d’un taux de métabolisme constant chez les mammifères. Les Massaïs connaissent ce cas particulier de la physiologie depuis ces centaines voire des milliers d’années, mais en Occident, les scientifiques ont compris sa signification seulement récemment.

 

Je voudrais insister sur le fait que l’explication de cette remarquable stratégie de survie provient d’une combinaison de méthodes, d’une étude des pratiques et des connaissances traditionnelles, d’étude de terrains et d’expérimentations de laboratoire plus classiques. Malgré leurs économies d’énergie, de nombreux animaux meurent lors des grandes sécheresses.   De fait, nous avons constaté que les populations de grands mammifères dans la savane suivaient les chutes de pluie et les conditions de pâturage. La population augmente après de bonnes pluies et diminue durant les sécheresses. Les conditions ne sont jamais stables, pas plus que les populations animales. Elles changent dans le temps et dans l’espace, cherchant le meilleur fourrage et évitant les pires sécheresses, permettant ainsi d’accepter un grand nombre d’animaux dans les savanes.

 

L’importance de cette mobilité pour la survie et l’abondance peut seulement être montré à partir d’études de suivi à long terme des écosystè
mes de savane. Tous les 20 ou 30 ans, Amboseli subit une grave sécheresse. Les herbivores survivent en se déplaçant dans des refuges de sécheresse, des pâturages trop dangereux et à faible valeur nutritive qu’ils n’utilisent qu’en toute extrémité. Les grands “ coarse sedges ” des marais qui couvrent moins de 2% de l’écosystème, ont nourri les buffles, les zèbres, les wildebeeest, les gazelles durant la sécheresse terrible des années 70. Clôturez les petits  marais de l’Amboseli , utilisés pour irriguer l’agriculture, et toute la population migrante se serait effondrée.

Je voudrais donner maintenant une explication de la grande diversité des espèces dans les savanes. Les grands mammifères ne sont pas les seuls à présenter une grande diversité inhabituelle dans les savanes de  l’est africain. Les oiseaux, les reptiles et les papillons aussi sont très variés.

Pour expliquer cette diversité, je vais commencer par étendre le théâtre écologique à tout le continent. C’est la seule façon d’appréhender la très longue durée et l’étendue de l’espace nécessaires pour expliquer la diversité actuelle de la savane. Regardez cette illustration présentant des habitats  sur tout le continent Africain et vous verrez des séries de sept bandes végétales principales s’étendant de l’est à l’Ouest. Du sud et du nord de l’équateur, s’étendent des larges “ swaths ” de forêt tropicale, “ deciduous ” woodlands, savanes sèches, déserts, etc.. Prenez une centaine de milliers de kilomètres carrés de n’importe quel “ tract ” de terre en dehors de l’est africain et regardez à quel point c’est uniforme. Chaque bande de végétation a sa faune et sa flore caractéristiques. Maintenant regardez le petit quart de l’est africain.  A cet endroit , toutes les bandes se réunissent comme dans un collage. La diversité des principaux habitats amalgamés ensemble explique la diversité des animaux. La convergence des habitats s’explique par l’incroyable relief topographique depuis le sommet du Kilimandjaro jusqu’à la côte et par le glissement et les fractures complexes de couches géologiques  jeunes et anciennes.  A ce collage des habitats doit être ajouté le temps, mesuré en dizaine de milliers d’années.  Durant tout cet énorme intervalle de temps, qui correspond en gros à l’avance et au retrait des glaciers, chaque habitat bouge. Durant les périodes sèches, la forêt se retire et les déserts avancent. Durant les périodes humides, les forêts avancent et les déserts se retirent. Là encore, notre petit quart d’Est Africain est unique. Les périodes humides voient les forêts s’étendre vers les savanes depuis l’Ouest. Les périodes sèches voient les déserts envahir depuis le nord et le sud.  De plus, malgré le retrait périodique des forêts, elles ne disparaissent jamais complètement car elles sont retenues par les hauteurs plus fraîches. La topographie de l’Est Africain retient les microclimats spécifiquement requis pour garder des restes de forêts jusqu’au prochain cycle

La diversité extraordinaire de l’Afrique de l’Est reflète les oscillations à long terme des habitats et des migrations des animaux à l’échelle continentale sur des périodes de milliers d’années. Stabilisez le climat ou interrompez les chemins migratoires traditionnels et la diversité de l’Afrique de l’Est s’estomperait.

Maintenant, permettez moi de faire un zoom sur un seul écosystème, Amboseli, à partir d’une autre aide scientifique, cette fois-ci une photo satellite. L’image en couleurs artificielles que vous voyez ici montre Kilimanjaro sur 80 kilomètres de longueur. Si l’on traçait une ligne de 50 kilomètres depuis le sommet jusqu’au point le plus bas, Amboseli, on traverse l’équivalent de presque tous les biomes majeurs du monde, depuis l’arctique jusqu’à la forêt tropicale. L’écosystème Amboseli a encapsulé le monde dans un microcosme à cause des habitats issus des migrations en son sein périodiques, maintenus par des microclimats qui s’étendent du niveau de la mer jusqu’à six mille mètres. Coincées et stockées dans cet étonnant étalage d’habitats jusqu’à une nouvelle intrusion, se trouvent des espèces aussi variées que des papillons de l’Afrique Centrale et des antilopes du désert nord-africain.

Nous pouvons mener un autre type d’expérience pour montrer que des animaux eux-mêmes aident à maintenir la diversité une fois que des mouvements d’habitat à l’échelle du continent et des longues périodes de temps ont produit ce “ collage ” d’espèces. Cette fois-ci je vais mener une expérience sur le site en clôturant une section de prairie afin de voir quel est l’effet de la suppression des herbivores sur la diversité de plantes. Nous découvrons que quelques espèces de plantes dont le développement était jusqu’ici contrôlé par les herbivores, prolifèrent et étouffent les autres espèces. La diversité de plantes diminue nettement, d’autant passant de 20 à moins de 3 espèces. Autrement dit, le pâturage intense et régulier  des grands herbivores limite les espèces dominantes de plantes et permet aux autres de s’installer. Ajoutez une grande variété d’herbivores, laissez les se déplacer avec les saisons et le résultat devient une  mosaïque complexe d’espèces de plantes. Les animaux aident à créer cette mosaïque qui maintient la diversité des espèces végétales.

Je pourrais continuer mon analyse afin d’inclure les effets des différents types des sols, des pentes, de l’hydrologie, des invertébrés, etc. mais la démonstration est claire. La diversité est le résultat d’une longue histoire, d’échelles énormes, de loci changeants et d’une hiérarchie de facteurs biologiques et physiques, tous en interaction.

Passons maintenant à une  troisième caractéristique de la savane, les migrations.

Pourquoi les mammifères de savane migrent-ils? Que peut nous dire la science peut sur le  mécanisme sous-jacent?

Posons une grille de 5 kilomètres par 5 kilomètres sur les 10 mille kilomètres carrés de l’écosystème Amboseli et regardons comment les animaux se distribuent entre les saisons humides (wet) et sèches sur  une période de 30 saisons. Vous verrez immédiatement des zones  gris où plus d’animaux s’installent. Durant la saison sèche, les zones les plus utilisées sont confinées à une fraction de l’écosystème autour des marécages Amboseli à l’intérieur du parc national. Durant la saison des pluies, les zones sont utilisées de façon plus équilibrée, réparties sur une vaste superficie – partout où il y a des étangs alimentés par la pluie.

Pourquoi les animaux migrent-ils
? Ici, je vais vous ramener au laboratoire à nouveau pour placer les herbivores dans des conditions qui nous permettront de contrôler leur régime. On découvre alors qu’ils digèrent plus complètement le fourrage à parois cellulaires fines que le fourrage à parois denses. Grosso modo,  plus il y a de protéine dans les cellules, plus le fourrage est digestible pour l’herbivore dans notre test de digestibilité. La courbe monte en flèche au début et puis se stabilise. Cela veut dire que l’herbivore aurait intérêt à devrait chercher son fourrage dans les herbes les plus nourrissantes afin d’absorber un maximum d’énergie dans un minimum de temps. Simplement dit, cela veut dire que l’herbivore va grandir plus vite et produire plus de petits en suivant les changements des secteurs où l’herbe est la meilleure . Les animaux qui migrent récupèrent environ 30 pour cent d’énergie supplémentaire par rapport aux animaux sédentaires.

Beaucoup d’autres facteurs contribuent à la migration, y compris la prédation. Qui veut rester au même endroit, quelque soit  la qualité du fourrage, s’il doit être tué par un prédateur? Les prédateurs renforcent le mouvement de déplacement. Enlevez les prédateurs et les animaux deviennent plus sédentaires et l’écosystème moins dynamique.

Un autre facteur renforce aussi la mobilité : la présence des humains et de leur bétail. Le Maasai font partie intégrante et importante de l’écologie Amboseli.

Traditionnellement, les Maasai vivaient des produits du bétail, des moutons et des chèvres. Ils suivaient les mêmes trajets migratoires que les animaux sauvages. Des expériences en laboratoire en expliquent la raison. Le bétail a la même physiologie que ses concurrents sauvages et il acquièrent aussi un surplus d’énergie en sélectionnant les pâturages les plus nourrissants. Les Maasai évaluent les rendements de lait par la quantité qu’ils ramassent dans leurs gourdes tous les soirs. Cette mesure sensible atteint son maximum quand le bétail sélectionne les meilleurs pâturages – les mêmes pâturages choisis par les herbivores sauvages. Le rumen et son sous-produit, le lait, constituent le laboratoire du Maasai, dans les savanes. Ce n’est pas étonnant qu’ils soient de  grands écologistes et des biochimistes astucieux.

En renforçant de façon active les migrations, les Maasai prennent l’avantage sur les animaux sauvages. Des guerriers cherchent  en permanence les meilleurs pâturages et ils ont tendance à les trouver là où les troupeaux migratoires se regroupent. Avec leurs habitat mobile,  ils se déplacent en quelques heures et font partir les concurrents sauvages des meilleurs pâturages.  Pour les Maasai aussi, migration veut dire plus de production et plus d’enfants.

Pourquoi alors les Maasai n’ont-ils  pas complètement déporter leurs concurrents sauvages? Il y a plusieurs raisons. Quelques exemple seulement montreront pourquoi.

Premièrement, les Maasai doivent protéger leur bétail des lions et des autres prédateurs, donc ils les enferment pendant la nuit. Cela réduit le temps de pâturage à 12 heures pendant les sécheresses, par comparaison avec 24 heures pour les herbivores sauvages. Deuxièmement, à cause du manque de main d’œuvre, les Maasai ne peuvent pas réduire la taille de leur troupeau au niveau de celui des troupeaux sauvages concurrents pendant les sécheresses. Cela veut dire que le bétail est pris dans de grands troupeaux qui sont moins efficaces et en conséquence les animaux subissent une mortalité plus élevée. Pendant les bonnes saisons, leur bétail compense en augmentant plus rapidement. En conséquence, le nombre de têtes de bétail est plus variable  que celui des animaux sauvages et ils sont légèrement décalés l’un par rapport à l’autre. Enfin, les Maasai se servaient traditionnellement des animaux sauvages comme « bétail secondaire ». Pendant les sécheresses, quand leur bétail succombait, les Maasai chassaient les animaux sauvages en attendant de meilleures périodes. Le faune  était une ressource pour la sécheresse et avait sa place dans la culture et l’économie des Massaïs.

On peut dire la même chose des prédateurs. Les lions, malgré le menace continue qu’ils représentent, sont importants sur le plan culturel. Les guerriers estiment que c’est un sport de tuer des lions dangereux et ils gagnent une renommée sociale dans cette affaire. Les représailles renforcent la peur des lions vis-à-vis des Maasai et réduisent les pertes de bétail. L’évitement mutuel permet aux lions et aux Maasai de vivre dans une grande proximité avec des pertes minimales. Autrement dit, ils peuvent coexister sinon en harmonie tout au moins en se tolérant.

Je vais maintenant utiliser l’exemple de l’Amboseli comme  modèle pour montrer comment les savanes fonctionnent de façon générale. L’hypothèse utilisée est basée sur la théorie des échelles, élaborée en partir des mes propres études en Amboseli.

 

La théorie affirme que la taille et le taux métabolique d’une espèce déterminent son histoire de vie et son écologie. Du tout petit éléphant querelleur(musaraigne) jusqu’à l’éléphant massif, les mammifères suivent un chemin identique : naissance, croissance, reproduction et mort, déterminé par leur taille. La vie tourne vite pour les petits animaux et lentement pour les grands. De petits animaux ont besoin d’une alimentation de haute qualité pour soutenir leur vitesse métabolique et reproductive plus élevée. Les grands animaux peuvent se débrouiller avec un régime pauvre. La théorie repose sur des données rassemblées à partir de douzaines d’études de laboratoire pour établir la relation entre la taille et les vitesses métaboliques dans les chambres d’oxygène – et des douzaines d’études de terrain sur les vitesses de croissance, les vitesses de naissances, la durée de vie et d’autres caractéristiques. Lorsqu’on combine les données du laboratoire et du terrain, on voit que la taille explique le plus grande partie des variations dans l’histoire de vie des mammifères.

Maintenant, appliquons les découvertes des ces observations concernant les échelles afin d’expliquer la structure des communautés de la savane. J’ai rassemblé des données sur cent quarante-quatre écosystèmes à travers l’Afrique et j’ai trouvé que le poids vivant des animaux est déterminé par les précipitations, qui à son tour déterminent l’abondance de fourrage. Plus de précipitations se traduit par plus de fourrage et plus de poids vivant. Tout aussi important,  la taille moyenne des herbivores augmente en partant des endroits
secs vers les endroits humides pendant que la qualité du fourrage diminue avec l’accroissement de la végétation. Des gazelles plus petites dominent dans les endroits plus secs, les plus grands herbivores comme le bison et l’éléphant dans les endroits plus humides. Cette tendance, à l’échelle d’un continent, reflète la succession saisonnière de pâture rencontrée dans l’Amboseli, dans laquelle les grandes espèces deviennent plus petites selon la qualité haute puis basse des pâturages pendant des migrations saisonnières. Autrement dit, il y a une stabilité de ces schémas des écosystèmes de savane  dans des conditions très variées à travers l’Afrique.

Notez qu’il y a de rares exceptions à cette règle de l’augmentation de la masse corporelle en fonction des pluies. Ces exceptions isolées se trouvent là où les éléphants ont été entassés dans les parcs, par l’activité humaine, ce qui veut dire qu’il y a plus de grands animaux que prévisible en fonction du niveau de précipitations. Ces anomalies fournissent une autre expérience semi-naturelle qui montre que les éléphants, comme les humains, jouent un rôle déterminant dans les écosystèmes de savane. Ils sont ce qu’on appelle des espèces-clés, des espèces qui peuvent enrichir ou appauvrir la diversité des écosystèmes selon leur abondance.

L’impact du commerce de l’ivoire est devenu important et très répandu en Afrique pendant les années 70 et les années 80, sous l’effet combiné d’une grande demande en Asie, de la pauvreté en Afrique et de la facilité pour se procurer des armements automatiques créée par les guerres. Des tonnes d’ivoire ont été exportées hors d’Afrique et ont mené à une chute du nombre d’éléphants. Ce graphique montre les exportations d’ivoire, en croissance rapide de 1970 jusqu’au milieu des années 1980, et ses conséquences, une baisse soudaine créée par la surexploitation de la population d’éléphants.

Au Kenya, la population s’était maintenue à environ 140 000 en 1970. Dans les années 1980, avant l’interdiction internationale sur le trafic d’ivoire, le nombre était descendu à 19 000. En conséquence,  les éléphants se sont retirés dans des endroits sûrs. L’extension de l’éléphant en Afrique s’est localisée et fragmentée. Leur nombre a diminué hors des parcs alors que leur densité dans les parcs a augmenté brutalement par immigration. Le résultat fut une distribution polarisée, avec des densités dans les parcs cinq fois supérieures à celles de l’extérieur.

Ensuite je vais vous montrer l’impact de cette compression en regardant le résultat dans l’Amboseli et dans d’autres écosystèmes.

Etant donnée leur taille, les éléphants peuvent digérer des végétations grossières, ligneuses et détruire de grands arbres. Ils mastiquent les brindilles et les branches aussi aisément que nous  mangeons du céleri. En se basant sur les trente-deux années de recherche et de surveillance continue de l’Amboseli, nous avons une assez bonne idée des conséquences. Notez qu’étudier des écosystèmes entraîne une étude à grande échelle, à long terme, par opposition aux études à court terme hautement contrôlées, typiques du laboratoire conventionnel.

Voici une zone de (fever tree) ? de vingt à trente mètres de haut détruits par des éléphants. Au fur et à mesure, les arbres détruits brûlent ou se décomposent et font place à des prairies. Voici une photo prise dans les alentours de ma maison de recherche en 1970. Vous pouvez voir ce qui reste des arbres et la brousse de sous bois qui s’ouvre. En cinq ans, suite à une période de très fort braconnage d’éléphants, le sous bois a été transformé en grande prairie.

Maintenant je regarde les résultats d’une expérience de dix ans conçue pour montrer que, en excluant les éléphants, les régions boisées pourraient récupérer. Encore une fois, autour de ma maison de recherche, où les arbres et les buissons ont été enlevés par un afflux d’éléphants, je montre les effets d’un câble électrique suspendu à deux mètres de hauteur pour exclure des éléphants mais pas les autres espèces. Les éléphants et les câbles électriques ont été fait l’un pour l’autre. Les éléphants ont ces merveilleuses trompes humides, avec des grands pieds conducteurs et dès qu’ils touchent à un câble électrique, ils reçoivent une énorme choc électrique et ils ne veulent plus recommencer

Dans cette photo, nous voyons le résultat. J’ai réussi à recréer la diversité de l’Amboseli avant la concentration d’éléphants dans le parc.

Ayant montré que je pouvais restaurer les anciennes régions boisées et la diversité de l’Amboseli sur un petit échantillon de l’écosystème en manipulant l’activité des éléphants, je peux proposer une hypothèse sur la façon dont les régions boisées de l’Amboseli ont changé selon le nombre et la distribution des éléphants.

Au fur et à mesure que les éléphants se sont progressivement concentrés dans le parc en réponse au braconnage, les arbres ont disparu à l’intérieur du parc et se sont remis à pousser à l’extérieur. J’ai récréé le même effet dans mes expériences en inversant les traitements après trois ans. J’ai fait cela en exposant des arbres qui avant ont été protégés des éléphants et vice versa. Encore une fois les résultats confirment le rôle des éléphants dans la régulation de la croissance des arbres. Autrement dit, j’ai bricolé avec les éléphants dans l’Amboseli pour montrer que je peux faire passer leur habitat des régions boisées à la prairie et inversement en contrôlant la distribution des éléphants.

Les données empiriques et expérimentales aident à expliquer les changements dans la biodiversité de l’Amboseli à cause des changements dans l’écologie des éléphants. On peut le montrer de la façon très nette si on comptabilise le nombre d’espèces végétales en fonction de la densité d’éléphants depuis le centre du parc vers l’extérieur. Le résultat montre que le nombre d’espèces végétales est faible quand la densité d’éléphants est élevée, il s’accroît à un maximum juste au-delà de la limite du parc et puis il retombe dans les zones où  les éléphants sont absents. Autrement dit, la biodiversité est la plus élevée lorsque la densité d’éléphants est intermédiaire. Vu sous un autre angle, la biodiversité est la plus élevée lorsque le secteur est occupé périodiquement par les éléphants, quand ils se déplacent sur une grande zone.

Maintenant, quittons la science pour les applications. Comment pouvons-nous restaurer les changements de diversité antérieurs de l’Amboseli qui ont été perdus à cause du braconnage?

La réponse est que nous ne pouvons rien faire si nous ne prenons pas en compte l’activité humaine aussi. Si nous stabilisons le nombre d’éléphants dans le parc, la diversité va continuer de diminuer. La réponse consiste à faire en sorte que les éléphants reprennent leurs habitudes de migration hors du parc, où la diversité de plantes  diminue à cause de leur présence trop faible.

 

Nous pouvons le faire en récréant la tension écologique entre les personnes et les éléphants. Les Maasai considèrent que les vaches créent les arbres (en pâturant les herbes) et que les éléphants créent les prairies (en éliminant les arbres). Les vaches et les éléphants ont donc des effets opposés sur la végétation. En se déplaçant dans le même voisinage tout en s’évitant mutuellement, les éléphants et le bétail créent un patchwork d’arbres et de prairie – et en conséquence une grande diversité.

Mon argument, c’est que la diversité des savanes est issue d’une interaction forte entre la population et la faune. Les mondes humains et naturels ne font qu’un, ils ne sont pas séparés.

Afin de restaurer la biodiversité dans l’Amboseli, nous devons étudier l’humain autant que les facteurs liés aux animaux sauvages.

Plusieurs facteurs influent sur la façon dont les humains perçoivent la nature et de ce fait sur la façon de se comporter envers elle. Un facteur décisif en général est la croissance de la population et l’épuisement des ressources. La possession ou les droits d’usage sur la faune sont tout aussi importants. Les droits d’usage influent sur la volonté d’investir et de protéger la faune sauvage. Là où les droits d’usage et les incitations à la conservation manquent, le conflit monte et la faune est perdante. Dans le passé, les Maasai considéraient les animaux sauvages comme du bétail secondaire. Aujourd’hui, ils n’attribuent aucune valeur aux animaux sauvages car ils causent des dommages sans aucun bénéfice en compensation. Le gouvernement en profite, les Africains de la banlieue en profitent, même le citoyen en Europe en profite, mais la personne qui vit sur place, qui vit à coté de la faune sauvage, elle en souffre. Il n’est pas étonnant de voir que l’antipathie vis-à-vis de la faune a augmenté dans les zones rurales. Aujourd’hui, les Maasai appellent la faune sauvage « le bétail du gouvernement » plutôt que « notre bétail secondaire ».

Comme les Maasai, les sociétés traditionnelles qui se voyaient comme imprégnées de nature sont aujourd’hui en phase de transition vers des sociétés modernes touchées par la globalisation.

Le manque de diversité de l’Amboseli est due en grande partie au commerce global de l’ivoire, et non  aux pratiques traditionnelles.

Trouver une solution pertinente à la conservation de la biodiversité  revient donc à des questions de perception, de droits et de gouvernance. Qui a le droit de bénéficier de l’environnement naturel? Qui supporte les coûts? Qui est responsable pour son bon état? Les gouvernements peuvent-ils le protéger avec leurs faibles ressources face à l’antipathie rurale si répandue?

Nous n’avons pas abordé la plupart de ces questions profondes, nous manquons de la philosophie, de la politique et des pratiques nécessaires pour atténuer le conflit humain-environnement naturel dans les sociétés en transition. De telles sociétés savent comment gérer le bétail et cultiver les récoltes – et même comment se lancer dans l’industrie. Mais la conservation de l’environnement naturel et sa gestion? Les relations traditionnelles, la connaissance et les techniques ont été perdues et de nouvelles versions pertinentes pour le monde contemporain ne les ont pas remplacées. La situation empire à cause de la mauvaise gouvernance et de la corruption dans de nombreux pays, y compris le Kenya. Ajoutez à cela une manque criant d’argent et de ressources et on comprend pourquoi les gouvernements ne peuvent pas conserver l’environnement naturel efficacement.

Enfin, il y a une inadapation des parcs nationaux eux-mêmes. S’appuyant sur des expériences naturalistes qui comparent des îles océaniques avec des zones de taille similaire sur des continents, des biologistes ont découvert que les îles sont pauvres en espèces. Plus l’île est petite, plus elle est éloignée d’une terre, moins elle supporte d’espèces.

Connue sous le nom de “ Théorie Biogéographique des Iles ”, elle prédit aussi que les parcs nationaux clos par les humains vont perdre des espèces selon leur taille et leur degré d’isolement. Autrement dit, les parcs séparés vont devenir des pièges d’extinction.

 

Jusqu’à ici nous avons vu comment des méthodes scientifiques peuvent être utilisées pour analyser et contrôler un seul écosystème pendant des décennies et pour avoir une vue instantanée d’un grand nombre d’écosystèmes à travers l’Afrique afin de les comparer. Nous avons vu comment des méthodes expérimentales, appuyées à la fois sur des expériences naturelles et sur des expériences très précises en laboratoire et sur le terrain, peuvent aider à démêler des schémas complexes, à former des hypothèses sur ce qui les explique et à tester des modèles. Tout cela nous a bien servi pour identifier ce qui caractérise les savanes, comment elles fonctionnent et ce qui les menace.

Maintenant passons à la dernière question : Comment pouvons-nous sauver les savanes?

Afin de sauver la faune sauvage, nous avons besoin d’aller au-delà de la science et d’adopter une approche intégrée. La méthode scientifique peut nous dire quelles approches marchent, mais en elle-même, elle ne fournit pas la solution. La solution se trouve dans les domaines politique, social et économique.

Si nous ne traitons pas des préoccupations fondamentales de toute société, la fragmentation et la déstructuration des savanes vont continuer.

Il ne suffira pas  de  continuer avec les mêmes solutions antérieures, avec ces approches gouvernementales centralisées basées sur “ commande/contrôle ”, qui crée des parcs et des règlements. Nous avons vu qu’elles étaient loin de répondre à l’objectif de conservation des savanes et, par cert
ains aspects , elles découragent même plutôt la conservation.

Nous avons besoin de deux approches complémentaires qui font le pont entre les niveaux local et global et les sociétés.

En commençant sur le terrain, tout d’abord nous devons traiter des droits d’usage et de la volonté d’investir dans la conservation. Les propriétaires doivent se sentir en sécurité concernant les ressources qu’ils ont sur leurs terres, y compris les animaux sauvages.

Cela veut dire leur offrir la possibilité de et les inciter à tirer autant profit des animaux sauvages que du bétail et des fermes. Cela veut dire aussi supprimer les subventions perverses qui soutiennent l’agriculture et créer un climat favorable pour la faune. Cela implique aussi de changer des politiques et des pratiques héritées de longue date et, inévitablement, changer les priorités nationales. Enfin, cela veut dire développer la capacité des propriétaires ruraux à gérer des entreprises basées sur la faune (wildlife enterprises), d’associer tous les partenaires concernés  pour résoudre tous les conflits d’intérêts, etc.

Comment cela peut-il marcher en pratique ?

Je retourne à mon point de départ, à l’Amboseli, pour montrer comment des méthodes nouvelles de conservation locales peuvent elles-mêmes faire partie d’une expérience. La science peut jouer un rôle vital pour contrôler et tester leur efficacité.

En 1967, j’ai essayé de trouver des solutions locales pour conserver l’Amboseli en impliquant  directement les Maasai. En explorant leurs traditions, l’importance de la faune dans le passé est devenue évidente. A partir de cet indice, j’ai travaillé avec un certain nombre d’anciens afin de trouver des incitations adaptées à leur monde contemporain et à leurs préoccupations. Après beaucoup de discussions, ils ont enfin reconnu que leur mode de vie était en train de changer à tel point que le bétail ne leur suffisait plus sur le plan économique. Ils ont reconnu qu’il fallait trouver des alternatives et diversifier leurs moyens de subsistance. Sans éducation suffisante, ils savent qu’ils seraient désavantagés s’il émigraient vers les villes. Ils voulaient explorer de nouvelles façons d’exploiter leur terre et considéraient le tourisme environnemental (wildlife) comme une réelle possibilité. Mais comment les Maasai pourraient-ils récolter les bénéfices du tourisme – plutôt que des personnes venant de l’extérieur ?

Je passe rapidement sur des années de discussions locales et gouvernementales. J’ai pris contact avec des économistes afin de calculer la valeur de l’environnement naturel, du bétail et de leur usage combiné dans tout l’écosystème. Le meilleur potentiel émergeait de l’usage combiné de l’environnement naturel et du bétail, non pas séparément mais en renforçant les réalités écologiques.

Le résultat a montré que les Maasai, le gouvernement, l’environnement naturel et les touristes bénéficieraient dans un modèle gagnant/gagnant si l’écosystème restait ouvert et intact au-delà d’un parc national de trois cent quatre-vingt kilomètres conçu pour protéger des endroits marécageux vulnérables. Cette analyse a constitué la base d’un plan intégré d’utilisation des terres qui associe conservation et développement.

Une partie des revenus du parc national a été distribuée aux Maasai de la région environnante pour organiser les migrations. Les services sociaux fournis par le siège du parc situé à la frontière et plus tard les revenus directs de leur propres sites touristiques ont réussi à intéresser les  Maasai à la faune et au tourisme.

Ils ont réagi en s’occupant des animaux sauvages, et ils ont admis que c’était devenu à nouveau leur bétail secondaire. Le résultat fut remarquable et une fois encore la méthode scientifique a été importante pour contrôler ce résultat. Une fois que le programme a été lancé en 1977, le nombre d’éléphants a commencé à croître immédiatement, après des années de fort braconnage. En 1989, leur nombre avait augmenté de 50%, malgré les pertes continues au Kenya. Le nombre des zèbres et des gnous a aussi doublé.

L’expérience de conservation locale a été un grand succès dans l’Amboseli, malgré de nombreux revers. Plus important, elle a préparé le terrain pour une politique nationale qui vise à encourager la conservation communautaire. cette politique a été adoptée à travers le monde, ce qui montre comment les perspectives pour la conservation s’améliore avec la participation locale.

Je voudrais terminer en insistant sur une approche complémentaire à l’approche ‘bottom-up’ – un cadre national pour conserver la biodiversité.

Des approches “ de bas en haut ” créent un climat favorable aux initiatives locales. Mais de telles initiatives locales ne fournissent pas en elles-mêmes un cadre national nécessaire pour conserver la biodiversité. Il faut une plus large vision à long terme et une stratégie pour élaborer un projet intégré pour la conservation de la biodiversité, de façon à combler les vides entre régions protégées et initiatives locales. Une politique nationale, un projet d’action stratégique, la législation et une redéfinition du rôle des agences gouvernementales et non-gouvernementales sont aussi requis dans cet effort. Le gouvernement doit passer d’un modèle commande/ contrôle à l’action politique, à la surveillance, à l’arbitrage, et à l’application. Son défi le plus grand consiste à déléguer les pouvoirs au niveau de compétence le plus bas, en charge de responsabilités de conservation cohérentes avec des objectifs nationaux plus vastes.

Au Kenya où j’étais directeur du Service de l’Environnement du Kenya (KWS) et  chargé d’instituer une nouvelle politique de la faune, nous avons commencé une stratégie double (bottom-up/top-down) en mandatant une commission d’enquête de cinq personnes afin de recueillir des opinions et des préconisations dans tout le pays. Nous sommes même allés outre-mer afin de soumettre nos préconisations et de solliciter les idées.

Nous sommes partis de la prise en compte du profond conflit entre humanité et environnement dans le Kenya contemporain

Le commission de cinq personnes devait solliciter les points de vue sur les façons de résoudre ce conflit.

La politique qui s’est dégagée, reposant s
ur des études techniques complémentaires à l’enquête, a fixé des objectifs pour la conservation de la biodiversité dans un schéma national de  développement. A l’issue d’un long processus, nous avons défini une zone de conservation minimale nécessaire au maintien de la diversité biologique de façon durable. La zone s’étendait sur un échiquier de propriétés, traditionnelles, étatiques et privées. Des incitations à la conservation ont été identifiées, avec des accords de partenariat pour déléguer les droits et les responsabilités. En retour, cela a entraîné une réflexion sur le rôle joué par le KWS, qui a conduit à sa restructuration, à sa réduction  et à la mise en place de mesures de performance.

Je voudrais juste citer quelques exemples qui illustrent la direction que prend la nouvelle politique de conservation au Kenya.

Dans cette image, qui date des années 50, vous voyez la Reine Mère Britannique (qui a 99 ans maintenant) debout devant un panneau intitulé le Parc National Royal d’Abedares. Le panneau fait référence à la possession par la Royauté Britannique, et non par les citoyens kenyans du terrain. Au début du siècle, le gouvernement Britannique a fait de la publicité présentant le Kenya comme un espace  récréatif pour les riches : « Les sportifs à la recherche du gros gibier en font un passe-temps, les étudiants en histoire naturelle se délectent sur ce terrain d’étude créé par la nature elle-même ».

C’est une perspective complètement faussée sur la nature au Kenya et sur ses véritables propriétaires. Voici un extrait d’un journal national typique de l’opinion du Kenyan : « Est-ce que le jumbo (l’éléphant) ou le jembe (la houe) ont un droit de passage? »

Et voici la situation à laquelle il fait référence : la production entière d’une famille détruite par des éléphants dans une seule nuit. Quand les fermiers protègent leurs récoltes, ils sont souvent tués, comme vous le voyez sur cette photo. C’est tragique car les éléphants tuent plus de personnes que toute autre espèce au Kenya. C’est le résultat d’un conflit dont le monde extérieur n’entend jamais parler. On vous montre des carcasses d’éléphants braconnés, blanchies par les crottes des vautours. Mais on ne vous montre pas l’autre partie de l’histoire, et pourtant c’est cette histoire qui aujourd’hui menace plus directement les éléphants du Kenya  que le commerce de l’ivoire.

Pour modifier ces points de vue et ces avantages complètement faussés suppose de mobiliser les Kenyians pour qu’ils réalisent que Abedares est leur parc et que l’environnement est leur richesse.

Pour cela, nous avons envoyés des bus KWS et du personnel pour encourager les Kenyians à utiliser leurs propres parcs. Lors du cinquantième anniversaire des parcs du Kenya, nous avons supprimé les tickets d’entrée pendant deux jours. Les parcs accessibles ont été envahis par des Kenyians qui ont découvert les joies de la visite pour la première fois. Une fois obtenue cette reconnaissance, nous avons réduit de moitié les tarifs pour les Kenyians et nous avons provoqué ainsi un afflux de visiteurs. Voici une scène typique représentant des Kenyians en train de visiter le Parc national de Nakuru. On sent clairement la fascination des Kenyians de soutenir les parcs pour eux-mêmes, et pas seulement pour attirer des visiteurs étrangers.

Voici ce que j’appelle un « parce au-delà des parcs », une réserve pour l’environnement naturel créée par une communauté locale. Dans ce cas, les Maasai voisins de l’Amboseli ont créé leur propre sanctuaire pour leur propres touristes. Cette scène montre non pas une grille du parc national mais une entrée d’un sanctuaire environnemental communautaire.

Ces femmes et ces hommes gèrent la réserve et ils en sont fiers. Pendant les trois dernières années et demi, plus de mille cinq cent kilomètres carrés ont été délimités comme réserves  environnementales communautaires au Kenya, plus que toute la superficie cumulée des parcs créés pendant les trente dernières années.

Nous pouvons nous servir de méthodes scientifiques pour contrôler le résultat de la participation locale et des réserves communautaires telles que celles-ci et vérifier si cette approche fait la différence. Il existe encore une autre zone environnementale communautaire, à Samburu, au Nord du Kenya. Si on compare les évolutions de la faune dans ce genre de zones environnementales communautaires par rapport à l’évolution générale du nombre d’animaux sauvages au Kenya, le résultat est significatif.

 

Là où les communautés réussissent à s’impliquer,  la faune se stabilise ou bien s’accroît. Là où les communautés ne sont pas impliquées dans les zones voisines correspondantes, la faune est sur le déclin.

Des parcs isolés ne pourront pas maintenir la diversité actuelle des savanes, et les perspectives pour l’extension des parcs sont plutôt réduites car elles doivent faire face à une démocratie qui s’étend dans une grande partie d’Afrique. Les alternatives sont peu nombreuses, mais pas complètement fermées. En faisant émerger la valeur de la faune pour ceux qui habitent avec elle, l’habitat écologique de cette faune peut être préservé autour des parcs et au-delà. La science, en d’autres termes, a contribué à la compréhension de la menace qui pèse sur les savanes africaines, mais elle ne détient pas la réponse. La réponse se trouve dans les mains des peuples et des communautés  d’Afrique eux-mêmes.

Je voudrais finir avec la plus grande migration sur terre, Serengeti. La migration démarre dans le sud du Serengeti, elle pénètre dans la Réserve Nationale Maasai Mara de Kenya fin juillet. Le Maasai Mara est indiqué par ce rectangle vert. Les migrants ne reconnaissent pas la frontière et se déplacent très au nord pour chercher des pâturages. Qu’est-ce qui va se passer si la réserve est séparée par une clôture? Evidemment, ça bloquerait la migration. L’implication des communautés locales de Mara a rendu ce projet improbable. Aujourd’hui, il y a plus de locations en dehors du Maasai Mara qu’ à l’intérieur. Les locations rapportent beaucoup d’argent aux propriétaires Maasai, ce qui leur donne une bonne raison de décourager les clôtures.

Le Serengeti et la Maasai Mara ont une bonne chance de survivre si la coexistence traditionnelle de base entre les Maasai et l’environnement est rendue possible dans le monde tel qu’il est aujourd’hui.

 

David Western