Jean-Pierre Raffin – Nature « naturelle », nature humanisée : vrai ou faux débat ?


Jean-Pierre Raffin / 2002

 

 
De la nature “ naturelle ” à la nature humanisée. Vrai ou faux débat ?
 

 

 
1764-“La Nature brute est hideuse et mourante ; c’est Moi, Moi seul qui peux la rendre agréable et vivante (…). Qu’elle est belle cette Nature cultivée ! Que par les soins de l’homme elle est brillante et pompeusement parée ” (Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon) à l’issue d’une description d’une nature où l’homme a abattu, brûlé des forêts sauvages, asséché des marais et labouré le sol ).
 
1784-“ Si ce n’est sa culture, la nature de l’Amérique au moins doit faire l’admiration du monde ” (Thomas Jefferson). De là, entre autres, viendra l’exaltation de la nature sauvage , “ wilderness ”, l’un des éléments moteurs de la création des parcs nationaux en Amérique du Nord puis dans le reste du monde. Le premier verra le jour en 1864, dans l’Etat de Californie. La vallée du Yosemite et la forêt de séquoias de Mariposa y seront protégées par l’institution du Yosemite Grant précédant de 8 ans la création du Parc de Yellowstone.
 
Ces deux citations illustrent deux conceptions de ce qu’il est convenu de nommer la “ nature ” qui vont tantôt s’opposer tantôt se mêler au gré du temps et des circonstances. A dire vrai, l’ opposition n’a peut-être pas été aussi forte qu’ on le pense quelquefois , en France tout du moins. Lorsque l’on examine les pratiques préconisées par ceux qui, au début du XX° siècle, se disaient les farouches défenseurs d’une “ nature naturelle ”, on constate qu’ils pouvaient prôner des mesures “interventionnistes” (pâturage bovin ou ovin, fauche, etc.) peu différentes de celles utilisées aujourd’hui par la plupart des gestionnaires d’espaces “ naturels ”. Ceux-ci ont bien compris qu’en Europe occidentale, ce que nous appelons “ nature ” est fréquemment le fruit tout autant du travail de générations de paysans et de façonniers du territoire que de l’évolution de la flore et de la faune sauvages. Maintenir cette nature, c’est y perpétuer, souvent, des activités humaines.
 
On trouvera, en annexe, quelques repères historiques (ouvrages et citations, événements) jalonnant, pour l’essentiel en France, le long cheminement de la protection de la nature. Ont été retenus ceux où figuraient les mot “nature ” ou “ naturel ”.
 
Protection ou conservation de la nature ?
 
Si l’on se réfère à l’histoire de l’Union internationale pour la protection de la nature UICN, créée en 1948 (cf. annexe), cette organisation a préféré en 1956 le terme “ conservation ” à la place de “ protection ”. Cela signifiait que l’homme ne considérait plus la “ nature ” comme un espace vierge, intangible, jalousement gardé, “ protégé ” mais comme un espace “ conservé ” dont les ressources pouvait être exploitées de façon raisonnable. Cela tient au fait qu’en anglais, les termes “conservation” et “ protection ” n’ont pas exactement le même sens. En français, ils sont équivalents.
 

 
Pourquoi et comment devient-on “ protecteur de la nature ” ?
 
Après 39 ans de vie professionnelle dans le domaine de l’enseignement et de la recherche en sciences naturelles (dont 32 en écologie), 37 ans de militantisme au sein d’associations de protection de la nature et une dizaine d’années avec les Verts puis chez les Verts, ce sont des questions qui peuvent se poser. Y répondre permet de mieux cerner une conception de la protection de la nature forgée au fil du temps et d’actions diverses.
 
L’émerveillement Si l’approche scientifique m’a appris la prodigieuse diversité du vivant dans ses mécanismes intimes et dans la variété des espèces de la flore et de la faune, c’est à une approche sensible que je dois de m’y être intéressé. Le premier souvenir d’enfance est un souvenir de “ nature ”, celui d’éblouissants petits scarabées bleus vus, au bord de l’Allier, pendant l’été 1940. Ma famille était alors réfugiée dans le Massif central. Je dois à mes parents, tous deux artistes, l’un peintre, l’autre graveur, ce goût pour les choses de la nature, plantes, animaux et paysages. Ainsi avant que de plonger dans leur étude et leur défense, j’éprouvais de l’émerveillement devant les richesses de la Création dont ma mère me disait qu’elle était un don qu’il convenait d’utiliser avec respect et mesure. Et puis, en prescrivant à Noë, avant la Grande Lessive, d’embarquer sur son arche “ de tout être vivant…un couple… pour les faire survivre ”, le Créateur n’avait-t-il pas été le promoteur de la première expérience de conservation de la nature ex situ… ? Il est banal de dire que les souvenirs d’enfance marquent à jamais une existence. Effectivement au hasard de déplacements d’une vie erratique qui conduisit ma famille, entre 1940 et 1945, du Massif central au Midi méditerranéen, puis en Savoie, j’ai connu une France diverse. Ma première école était au bout d’un chemin où se cotoyaient ruisseau et haies, papillons et oiseaux. De retour à Paris, j’ai eu la chance extraordinaire de vivre jusqu’en 1955 dans une maison avec jardin. Dans ce morceau de “ nature ” en ville nichait le Pigeon ramier sous ma fenêtre. La Chouette hulotte en fréquentait les arbres et le Pic épeichette s’amusait à faire résonner le bambou d’une antenne de TSF. Les vacances étaient l’occasion de se replonger dans une nature moins urbaine dont le souvenir se prolongeait, les congés achevés, par la lecture des livres de la série des “ Beautés de la Nature ” de Delachaux et Niestlé qui ont formé des générations de naturalistes. J’avoue être toujours “ saisi ” lorsqu’au détour d’une haie, d’un sentier de montagne, d’un ruisseau ou d’un torrent, je peux observer la diversité des formes, des couleurs, des sons et des odeurs du monde vivant. Quand en été montent d’un sol forestier humide et chaud des odeurs fortes et que certains nez délicats s’en offusquent, je m’en enchante au contraire percevant là une expression de la puissance de cette vie foisonnante qui nous entoure.
 
Le sentiment d’une perte de biens collectifs Cette époque fut aussi celle du début du déménagement du territoire : forêt de Fontainebleau éventrée pour construire une gaine technique à voitures et camions ; pollutions et “ rectifications ” anéantissant des cours d’eau encore “ naturels ” quelques années auparavant ; démembrement rapide d’un tissu rural diversifié ; ville livrée à la “ bagnole ”, etc. Etudiant, je pouvais aller à mes cours, à pieds, en traversant Paris le long de la Seine. Quelques années plus tard, ces aménités extraordinaires que sont les bords d’un fleuve ou d’une rivière dans une ville allaient être saccagées pour faire place à des “ voies sur berges ”. Tout cela laissait un goût amer, celui de voir disparaître des richesses collectives dont j’avais bénéficié et qui étaient, en quelque sorte, privatisées au bénéfice d’une seule catégorie de citoyens. Ce fut une des raisons de l’engagement associatif.
 
Connaissance de la “ nature ” et recherche des cause de sa dégradation Il y en eut d’autres rais
ons dues à des rencontres de personnalités fortes comme : le professeur Jacques Berlioz, directeur du Laboratoire d’Ornithologie et de Mammalogie du Museum national d’Histoire naturelle; le professeur Charles Devillers , à qui je dois d’avoir travaillé à l’Université alors que je me destinais à l’enseignement secondaire (alors, le début des années soixante, les questions de maintien de la diversité biologique, intéressaient peu la communauté scientifique, mais C. Devillers attirait l’attention de ses étudiants sur la régression des ours dans les Pyrénées et les conséquences d’une chasse excessive aux baleines); Gérard Aymonin, botaniste au Museum national d’Histoire naturelle aux connaissances encyclopédiques rencontré outre Méditerranée quand j’achevais un service militaire commencé à la fin des opérations de “ pacification ” en Algérie. Les uns et les autres ont développé chez moi une curiosité pour la diversité du vivant et l’analyse des causes de sa régression. L’engagement associatif
 
La lecture, en 1965, d’ “ Avant que Nature meure ” de Jean Dorst et de “ L’homme et la nature ” de Michel-Hervé Julien ; la rencontre, la même année ,à l’occasion d’un stage de baguage à Ouessant, de Michel Brosselin, ornithologue réputé et protecteur de la nature convaincu, ont été, avec le naufrage, en 1967 du Torrey-Canyon, des événements pour moi marquants. J’ ai pu mesurer l’impact de la première marée noire (j’ai encore en tête l’odeur pénétrante du mazout perceptible à l’intérieur des terres bien avant l’arrivée à la côte), conséquence du “ tout pétrole ”. Il y avait la peine des hommes “ violés ” par cet épanchement monstrueux . Il y avait les dégâts au milieu marin côtier, illustrés par ces oiseaux englués de pétrole. C’était ma première marée noire. Il y en aurait, hélas, d’autres dont j’ai vécu certaines sur le terrain (Amoco Cadiz-1978 ; Tanio-1980). Ces lectures et cette marée noire m’ ont conduit à l’engagement dans l’action associative au sein de la Fédération française des sociétés de protection de la nature (maintenant dénommée France Nature Environnement) née en octobre 1968. La participation au colloque sur l’utilisation et la conservation des ressources de la biosphère réuni à Paris, en septembre 1968, par l’Unesco donnait une dimension internationale et un prolongement au bouillonnement d’idées du printemps. La protection de la nature n’était pas qu’une affaire de naturaliste, c’était aussi une remise en cause des ressorts et des modalités de fonctionnement de notre société dite “ de progrès ” qui induisait la destruction de biens communs. L’action associative semblait le seul moyen de faire évoluer la situation. Les élites intellectuelles glosaient et s’intéressaient peu à l’aspect matériel, “ras des paquerettes” de la protection de la nature lorsqu’elles ne raillaient pas les amateurs de petites fleurs et de papillons. Les “grands corps” d’Etat ignoraient superbement les questions auxquelles les enseignements qu’ils avaient suivi n’avaient pas fourni de réponses. Ils fantasmaient sur les possibilités illimitées de techniques réputées pouvoir apporter réponse à tout. Les partis politiques étaient indifférents aux questions d’environnement et de long terme. Les milieux économiques voyaient tout comme le monde politique d’ailleurs, la prise en compte de la protection de la nature et de l’environnement, comme une gêne intolérable entravant le développement et les protecteurs comme de subversifs empêcheurs de tourner en rond. Les thèmes d’action de France Nature Environnement ont été d’emblée généraux : campagne de défense du Parc national de la Vanoise, moratoire sur le programme électronucléaire, participation à l’élaboration de la loi sur la protection de la nature, gestion d’espaces “ naturels ”, lutte contre les pollutions de l’eau notamment d’origine agricole, maintien d’un tissu rural diversifié, sensibilisation et éducation à l’environnement, instauration et développement de la participation des citoyens à la prise de décision en matière d’environnement, etc. Cette diversité s’est traduite notamment par l’organisation de réseaux préparant des assemblées générales thématiques (par exemple : Valeur économique du milieu marin, 1978 ; Energie et protection de la nature, 1980 ; Gestion de l’eau, 1981 ; Forêts et protection de la nature, 1983 ; Agriculture et protection de la nature, 1984 ; Communication et nature, 1985 ; Communes et patrimoine naturel, 1987 ; Politique des transports et protection de la nature, 1988, etc.) et par des actions plus ciblées comme le développement dès le début des années 1980 d’une stratégie de sauvegarde de l’Ours brun . Une implication forte dans ces actions et ces réflexions comme secrétaire général (1971-1982) puis président (1982-1986), responsabilités impliquant la participation à diverses instances où protecteurs, aménageurs et utilisateurs variés de la nature confrontaient leurs expériences (Conseil national de protection de la nature, Haut Comité à l’Environnement, Conseil national de la vie associative, Conseils d’administration de parcs nationaux, Groupe de travail Pisani sur les espaces naturels, etc.) m’ a fourni la chance d’ aborder les aspects multiples de la protection de la nature. Cet investissement associatif allait trouver un prolongement politique au Parlement européen durant la législature 1989-1994 puis, de 1997 à 1999, au sein du cabinet de Dominique Voynet, ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement .
 

 
Enseignant-chercheur et protection de la nature ?
 
Une thèse de 3° cycle en Histochimie, une thèse d’Etat en Neuroembryologie expérimentale, un suivi de sites et d’une population de mollusques lamellibranches touchée par la marée noire de l’Amoco Cadiz, parallèlement à un enseignement assuré en zoologie puis en écologie générale ne sont pas des paramètres permettant un cursus universitaire traditionnel. Dans une communauté scientifique qui adopte de plus en plus une approche réductionniste et à court terme du monde vivant, s’intéresser, tout à la fois, à la répartition et à l’évolution d’espèces sur le long terme, à la gestion et à des conflits d’usage (c’est à dire au “ politique ”) et former des étudiants à des métiers qui ne seront ni l’enseignement ni la recherche, relève de l’inconscience professionnelle si l’on veut “faire carrière”. C’est jouer en franc-tireur et accepter de rester un marginal. Ceci étant, je dois à l‘université grâce à des patrons successifs atypiques des méthodes d’analyse, une ouverture d’esprit et une curiosité qui a pu s’exercer en différents champs de la biologie et ailleurs que dans le champ clos académique. C’est de cet ailleurs que je tire les connaissances, les réussites ou les échecs restituées aux étudiants dont j’ai la responsabilité.
 

 

 
Alors c’est quoi la protection de la nature ?
 
Quelle nature ?
 
A l’échelle de la France et de l’Europe, vieux continent façonné depuis des millénaires par des générations de paysans, de moines entreprenants, de traceurs de routes ou de creuseurs de canaux et d’étangs, de constructeurs de digues, etc., peut-on encore opposer une “ nature ” sauvage exempte d’interventions volontaires ou involontaires de l’homme telle que la rêvent certains à une nature humanisée ? Maintenant que notre activité a fabriqué des déchets durables (matières radioactives par exemple) dont certains sont transportés involontairement d’un continent à l’autre par le jeu des courants aériens ou marins peut-on encore penser qu’il existe un endroit de notre planète qui ne soit pas “ influencé ” par l’homme ? Certes l’
impact de l’homme sur la diversité biologique n’est pas le même partout. Il y a quelque différence entre un champ de maïs-fourrage abondemment traité par des pesticides divers et une prairie de fauche “ naturelle ”. Mais c’est plus affaire de localisation, d’ampleur d’impact et de pas de temps que de principe. Les quelques centaines de mètres carrés d’espace épargné par une céréaliculture intensive en Beauce ou en Brie pourront receler une diversité biologique, des éléments de nature qui paraîtraient relever de la banalité ailleurs. Ils n’en représentent pas moins un morceau de nature à cet endroit car l’évolution de la flore et de la faune sauvages même soumise à l’impact de l’action humaine y est plus spontanée que dans le champ voisin totalement artificialisé. Pour le naturaliste que je suis, la nature est le lieu où s’exprime le mieux et de façon durable, à un instant donné et dans une région donnée, la diversité de la flore et de la faune sauvages. Ce peut être aussi bien une parcelle forestière du Bois de Boulogne qu’une forêt d’altitude inexploitée depuis des décennies et peu fréquentée ; une prairie pâturée du bocage brionnais, un chaos de blocs battu par la mer, une mare temporaire ou un marais d’estuaire. Ce qui frappe aujourd’hui le naturaliste est la vitesse avec laquelle disparaissent de nombreuses espèces. Toute espèce est appelée à s’éteindre et l’évolution a connu des phases “ naturelles ” d’extinctions massives. Il est d’ailleurs fréquent d’entendre tel ou tel responsable politique ou économique s’agacer de voir opposer à son grandiose projet qui va, bien entendu, sauver l’humanité ou au moins sa circonscription, la disparition possible d’une espèce. Immanquablement les dinosaures sont appelés à la rescousse. Ils ont bien disparu sans que l’homme y soit pour quelque chose, alors on ne va pas quand même pas se mettre martel en tête pour quelque bestiole ou fleurette qui de toute façon disparaîtra un jour. C’est vrai, mais c’est oublier le facteur temps. L’extinction des emblématiques dinosaures qui ont habité notre planète près de 150 millions d’années s’est effectuée en près d’un demi-million d’années si l’on retient comme explication première la chute d’un météore sur la Terre. La comparaison entre taux d’extinction contemporain et taux d’extinction à l’échelle des temps géologiques conduit à estimer une accélération du processus de 1000 fois celui du taux d’extinction naturel des vertébrés qui sont les mieux connus des organismes vivants (cf. Systématique : ordonner la diversité du Vivant. Rapport sur la science et la technologie n°11. Académie des sciences. 2000). Dans la mesure où les vertébrés ne représentent qu’une infime partie du vivant, la partie émergée de l’iceberg, le taux global d’extinction est vraisemblablement plus élevé. Lorsque l’on compare l’évolution de la diversité biologique de notre Europe occidentale avec celle de l ‘Amérique du Nord, l’on est frappé de constater que pour certaines groupes systématiques il a disparu plus d’espèces en un siècle en Amérique du Nord qu’en plusieurs millénaires de développement de la population humaine en Europe. Plusieurs facteurs sont invoqués pour expliquer cette différence. En Europe, le défrichement, le développement de l’agriculture, les modifications de milieux se sont réalisés lentement, ce qui a laissé à la très grande majorité des espèces sauvages le temps de s’adapter à de nouvelles conditions de vie voire d’en tirer profit (espèces des milieux ouverts par exemple). Par ailleurs, phénomènes climatiques et aléas des conflits ont provoqué des alternances, inscrivant dans la durée des périodes où la “ nature ” reprenait “ ses droits ” lorsque le poids des activités humaines s’allégeait. Rien de tout cela en Amérique du Nord, où la conquête de nouveaux espaces par les colons européens s’est effectuée rapidement, brutalement et de manière continue. C’est un peu comme si l’on avait voulu transformer, du jour au lendemain, en sprinter un coureur de fond. Si des espèces disparaissent, d’autres voient leurs effectifs s’accroître (et la concurrence induite peut être un facteur de régression des premières) en général par suite d’une action humaine qui a, directement ou indirectement, modifié les relations inter ou intra-spécifiques. Le cas des espèces envahissantes introduites volontairement ou involontairement en est un bon exemple (myxomatose, doryphore, rat musqué, etc.). Au niveau mondial, elles constituent Mais ce n’est pas une compensation en terme de diversité. Le naturaliste soucieux du futur est donc aujourd’hui confronté à un double processus : un phénomène naturel d’extinction à long terme inéluctable auquel s’ajoute l’impact croissant, direct ou indirect, d’activités humaines conduisant à une nouvelle crise de la vie à la surface de la Terre.
 
Mais la nature c’est également le paysage qui doit beaucoup, si ce n’est tout, en certains endroits, à l’activité humaine. C’est aussi ce qui structure la Terre et en retrace l’histoire: les structures géologiques, les minéraux et fossiles. Ce sont des éléments comme l’eau, le sol, l’air indispensables à la vie. On ne peut pas dire que notre société dite de “ Progrès ” se soient montrée très soucieuses de leurs qualités et des effets à long terme du développement de certaines activités. La gestion de l’eau en France est un bon exemple. Dès la fin des années soixante, associations de protection de la nature et écologues tentaient d’attirer l’attention des pouvoirs publics et notamment des responsables du développement agricole en Bretagne sur les risques que ferait peser sur la qualité des eaux le développement inconsidéré d’entreprises agro-alimentaires : élevages hors-sol, cultures gourmandes en pesticides et fertilisants, usines de transformation, etc. Ils demandaient que soit élaboré un réel bilan économique, c’est-à-dire un bilan qui prenne en compte les coûts des effets négatifs de l’extension de méthodes dites modernes : coût social, coût des pollutions. Ricanements et railleries desdits “responsables” ont été les seules réponses aux inquiétudes. Il n’y avait pas, il n’y aurait pas de problèmes grâce à la vigilance et à la compétence des ingénieurs des services concernés. On voit aujourd’hui où ont mené “ la vigilance et la compétence ” de ces ingénieurs : des plans (à la charge de la collectivité nationale) qui ont englouti des milliards de francs pour restaurer la qualité de l’eau sans résultats probants ; une lourde condamnation en mai 2001 (enfin) de l’Etat pour laxisme à la suite de contentieux engagés par des associations de protection de la nature et de consommateurs lassés de voir des responsables publics fermer les yeux et tolérer l’intolérable. On pourra s’amuser de voir la fluctuante attitude de la justice qui tarde là à condamner des pouvoirs publics laxistes depuis des décennies au vu et au sus de tous et expédie un préfet qui avec des méthodes certes contestables s’est employé à faire respecter une loi littoral sur l’application de laquelle ses prédécesseurs s’étaient paisiblement assoupis.
 
Alors pour moi la “ nature ”, c’est tout autant le grouillement de la vie sous toutes ses formes que les éléments qui en permettent l’existence. C’est l’imprévu et la diversité qu’ont du mal à accepter le libéralisme échevelé tout comme les totalitarismes de gauche ou de droite. Ils ont horreur de tout ce qui ne suit pas les diktats de l’économisme ou de ce qui est perçu comme pouvant être un frein au “ Progrès ”. Il n’y a pas loin du “ pour l’unité linguistique de la France, la langue bretonne doit disparaître ” d’un Anatole de Monzie, ministre de l’Education nationale (1932-1934) aux vociférat
ions récentes de certains élus socialistes ou RPR à propos du Loup ou de l’Ours brun. La haine de la diversité culturelle au nom d’un archaïque jacobinisme hexagonal identitaire s’étend à l’ensemble du vivant. Comme les sans-papiers, les loups sont entrés sans demander de visas. Comme les Tsiganes, les ours ont le front de se déplacer et de ne pas rester là où l’on voudrait les fixer. Le scarabée pique-prune entrave la construction d’une gaine technique à camions, etc. A y regarder d’un peu plus près, on peut se demander si une partie de notre société n’est pas en train de perdre le sens du vivant, par peur. Peur de l’autre et de sa différence; peur du complexe, c’est-à-dire de la vie; peur de devoir faire une place à l’autre qu’il soit du genre humain ou des autres vivants.
 
Pourquoi se préoccuper de la “ nature ” ? S’il peut sembler évident de vouloir maintenir et restaurer la qualité d’un élément comme l’eau indispensable à l’homme et à nombre de ses activités, il n’en va pas forcément de même pour ce qui concerne le vivant, la diversité biologique. Les raisons qui conduisent à développer des stratégies de maintien et de restauration de la diversité biologique parties prenantes de ce que l’on nomme la biologie de la conservation sont d’ordres divers.
 
Raisons “ utilitaires ”. La flore et la faune constituent des ressources immédiates ou futures pour l’espèce humaine (consommation directe, amélioration des plantes cultivées ou des animaux domestiqués, ressources alimentaires futures, produits pharmaceutiques, sources de matières premières, services écologiques, loisirs, etc.). Il est, ainsi, estimé que la matière active de 40% des médicaments actuellement utilisés provient de substances naturelles. Malcolm Hadley, de la division de sciences écologiques de l’Unesco (La Jaune et la Rouge, n°566. juin/juillet 2001) signale que la restauration du fonctionnement “ naturel ” du bassin versant des Monts Castkill pour éliminer des pollutions (fertilisants et pesticides) de l’eau nécessaire à l’alimentation de la ville de New-York coûterait 1-1,5 000 milliards de $ alors que les investissement pour de nouvelles installations d’épuration s’élèveraient à 6-8.000 milliards de $ avec des frais d’entretien annuels de l’ordre de 300 000 $. Les mécanismes élaborés par le monde vivant au cours de l’évolution depuis près de 4 milliards d’années sont le fruit d’un nombre incalculable d’essais conduisant à des inventions aux performances inégalées. Perdre une espèce vivante c’est perdre le résultat d’expériences passées et interrompre un processus dynamique en perpétuelle évolution. C’est se priver de ressources et en priver les générations futures, ce qui est d’autant plus absurde que la population humaine augmente et qu’il en va de même des besoins individuels. La connaissance est aussi une “ ressource ”. En effet, connaître le fonctionnement des systèmes naturels, les liens tissés entre les organismes depuis que la vie existe sur notre planète est nécessaire pour en utiliser au mieux les ressources directement ou en utilisant des schémas de fonctionnement élaborés par l’évolution (bionique). Cela suppose, évidemment, que les constituants du vivant n’aient pas été détruits. Il est certain que cette “ précaution ” vis à vis de l’avenir, ce souci des générations futures ne sont pas partagés par l’ensemble de nos concitoyens et par certains dits “ responsables ”. Ils se comportent comme ce monarque français les pieds bien au sec montrant une indifférence éblouissante à un déluge qu’il voyait poindre après son règne. L’ on pouvait ainsi entendre, lors d’un colloque réuni à Paris, en juin 2001 , par l’Union des industries de la Protection des Plantes sur le thème “ l’utilisation des pesticides est-elle socialement acceptable ”, le président de la Commission des Toxiques en agriculture déclarer : “ Je suis complètement interloqué quand on me dit : “ Il faut faire attention aux générations futures ”. Mais les générations futures, excusez-moi du terme, elles se “démerderont” comme tout le monde. ”… Certains députés, notammenrt socialistes, qui s’employaient encore tout récemment à vider un de projet de loi sur l’eau de dispositions permettant de lutter plus efficacement contre les différentes formes de pollution de l’eau parce qu’elles pouvaient heurter une partie de leur électorat agissent avec la même inconséquence.
 
Raisons éthiques. L’espèce humaine fait partie du monde vivant. Elle est embarquée sur la même planète que les autres espèces. L’on ne voit pas au nom de quoi, elle s’arrogerait, même si elle en a maintenant le pouvoir, le droit de mort sur d’autres espèces.
 
Comment protéger ?
 
Protéger les espèces c’est schématiquement les conserver là où elles existent ( conservation in situ) ou lorsqu’il n’y a pas d’autres solutions en les transférant (conservation ex situ). C’est assurer le maintien ou la restauration des milieux nécessaires à ces espèces et en maîtriser la récolte lors qu’elle s’exerce (chasse, pêche, collecte, etc.). Quelques grands principes, fort bien définis par l’écologue Robert Barbault (Biodiversité. 1997) cernent ce que devrait être une politique de la conservation. Certains ont d’ailleurs été élaborés et mis en œuvre, au moins partiellement et empiriquement depuis des décennies. 1° Le maintien durable de populations saines pour l’ensemble des ressources biologiques sauvages n’est pas compatible avec une croissance illimitée des demandes des hommes. 2° Le but de la conservation doit assurer toutes les options d’utilisation présentes et futures en maintenant la biodiversité dans toutes ses composantes, génétique, spécifique et écosystémique. 3° L’évaluation des effets écologiques et socio-économiques de l’utilisation des ressources naturelles doit précéder toute mesure d’extension ou de restriction de celle-ci. 4° La réglementation relative à l’utilisation des ressources vivantes doit reposer sur la connaissance de la structure et de la dynamique de l’écosystème concerné et prendre en compte les influences écologiques et socio-économiques qui affectent directement et indirectement l’utilisation de ces ressources. 5° La gamme complète des compétences et connaissances apportées par les sciences de la nature et de la société doit être mobilisée pour traiter des problèmes de conservation. 6° Toute conservation efficace suppose la prise en compte et la compréhension des motivations, intérêts et valeurs de tous les utilisateurs et acteurs en cause. 7° Une conservation efficace demande une communication interactive, réciproque et continue.
 
Le premier de ces principes est certainement celui qui se heurte aux plus fortes résistances de notre société. Selon une croyance assez répandue , la “ Science ” est à même de répondre à toutes les questions qui peuvent se poser. Il ne s’agit que d’une affaire de temps et donc il n’est point nécessaire de se préoccuper outre mesure des effets directs ou indirects des activités humaines sur son environnement. Si problème il y a, solution il y aura. En conséquence toute limitation au “développement ” économique, scientifique, etc. est jugée intolérable, “réactionnaire”. Or ce premier principe de la conservation qui sous-tend d’ailleurs le concept de développement durable (très mauvaise traduction des termes anglais “ sustainable development”) implique l’acceptation de contingences. Comme le fait remarquer le démographe Keyfitz (La Recherche, n° 264 , avril 1994) “ les théories économiques sont fondées sur la croissance et l’accomplissement de progrès constants, tandis que les théories de la biologie se fondent sur la contingence de l’évolution ”. Or qui dit contingence, d
it acceptation de limites, de réversibilité, ce qui n’est pas dans l’air du temps. Comme l’écrit Kalaora (Natures en tête , 1996) : “ Seule une éthique qui aurait pour base l’auto-limitation du pouvoir permettrait sans doute de réduire les conséquences liées à la manipulation de la nature. A l’allégorie de la plénitude, de l’abondance, faudrait-il substituer celle de la retenue, de l’ascèse, de la frugalité ? Sommes-nous prêts à mettre en tête de nos soucis la nature et à renoncer aux instruments de domination à la source de nos richesses pour retrouver une part de l’Eden perdu ? ”. En d’autres termes une société où bien des citoyens et de leurs administrations ont déjà bien du mal à accepter l’étranger, le sans-papiers, le “ différent ”, à être équitables (cf. par exemple le dossier des pensions des anciennes troupes coloniales), solidaires, est-elle prête à laisser place à d’autres vivants lorsqu’, en plus, certains de ses responsables politiques n’en sont pas convaincus ou remettent à des lendemains lointains le temps de s’intéresser à la question ? La protection de la nature, bien collectif , requiert l’acceptation de contraintes et que s’effacent certains intérêts privés. C’est vouloir œuvrer dans le paradoxe puisque depuis des décennies les modèles de pensée dominants ont conduit à l’exaltation des désirs individuels, l’abolition des contraintes (“ des droits à ”…mais pas de “ devoirs de ”…) en vertu d’un égocentrique “ là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir ”…
 
Pour un bilan des politiques de protection de la nature en France
 
Il est toujours présomptueux de vouloir dresser brièvement un bilan d’une situation évolutive dont on a été plus ou moins partie prenante, à divers titres, pendant plusieurs décennies. Les quelques réflexions qui suivent ne sont que les ébauches d’un travail à venir. Elles exposent tout d’abord les freins à la mise en œuvre de politiques efficaces.
 
La variété des climats, des reliefs et des pratiques rurales ont longtemps fait de la France, pays où l’espace rural est dominant, une contrée riche de terroirs divers tant culturels que naturels et ce jusqu’aux lendemains de la seconde guerre mondiale. Cela explique peut-être que la France ait mis, par rapport à d’autres pays européens, beaucoup de temps à se doter de politiques de protection de la nature. Les premiers parcs nationaux issus du Congrès de protection de la nature de 1923 ont été créés en Antarctique et dans les possessions coloniales. Il faudra attendre 1960 pour que soit votée une loi permettant la création de parcs nationaux en métropole (ceux de la Vanoise et de Port-Cros naîtront en 1963 alors que des pays comme la Suède et la Suisse se dotaient de parcs nationaux respectivement en 1909 et 1914).
 
A la fin du XIX° et au début du XX° siècle, patrimoine naturel et patrimoine culturel étaient intimement liés. Pour des raisons qui restent à élucider ,il y a eu ensuite séparation (compétences ministérielles et administratives). Il n’est pas sûr que cela ait bénéficié à la prise en compte du patrimoine naturel dans les différentes politiques où il était concerné.
 
La protection de la nature implique une vision transversale qui s’accomode mal des approches sectorielles tant des “grands corps” qui constituent l’ossature des services publics que des territoires ministériels jalousement balisés et défendus. C’est ainsi que l’élaboration de la loi sur la protection de la nature votée en 1976 au terme de près de 8 ans d’efforts s’est heurtée à l’hostilité de tous ceux qui, aussi bien dans la sphère publique que dans la sphère privée, auraient à prendre en compte dans leurs projets la diversité biologique. Cette vision transversale doit aussi dépasser le champ hexagonal. Par exemple, le problème des rapports de l’élevage hors-sol de porcs avec la qualité des milieux aquatiques va bien au-dela. Il implique que l’on prenne en compte les conditions (aussi bien sociales qu’environnementales) dans lesquelles ont été produites les matières premières entrant dans la composition des aliments du bétail. Qui s’est préoccupé de l’impact sur le tissu rural de l’Etat du Parana, au Brésil, de la transformation de polycultures vivrière en cultures industrielles spéculatives destinées à fournir aux éleveurs de porcs européens des aliments à bas prix ? Les paysans chassés allant rejoindre les favelas ou défrichant la forêt amazonienne, l’environnement rural local dévasté doivent être pris en compte au même titre que le tissu bocager démembré, les pollutions chroniques des eaux bretonnes de l’intérieur des terres et du littoral et leur impact sur les actvités conchylicoles ou touristiques ( marées roses et vertes).
 
La protection de la nature implique le long terme que ce soit en matière d’acquisition des connaissances, de suivi et de stratégie. Or, force est de constater que depuis 1976, aucun gouvernement ne s’est donné les moyens d’assurer cette acquisition et ce suivi des connaissances qui reposent encore majoritairement sur le bénévolat, c’est-à-dire de manière partielle et liée à des individus plutôt qu’à des structures pérennes. Il serait ainsi intéressant de comparer les moyens mis en œuvre dans les différents pays européens pour établir les inventaires floristiques et faunistiques préalables aux propositions de sites Natura 2000. Les politiques successives de recherche et d’enseignement ont laissé en déshérence les savoirs naturalistes jugés moins prestigieux que les approches biomoléculaires, alors qu’il devrait y avoir complémentarité. Il ne faut pas s’étonner, par exemple, de la légèreté avec laquelle sont autorisées des cultures ou essais de plantes génétiquement modifiées , à même de bouleverser le fonctionnement aussi bien d’ agro-écosystèmes que d’écosystèmes voisins ou bien de l’incapacité à mesurer l’impact réel d’une pollution marine comme celle de l’Erika faute qu’il y ait un suivi régulier du littoral.
 
Faute d’une implication politique forte des plus hauts responsables de l’Etat, malgré les efforts des différents ministres en charge de l’environnement et donc de la protection de la nature, ce secteur est resté marginal et les moyens n’ont pas suivi le discours. Cela veut dire qu’une bonne part du travail de terrain dépend toujours du bénévolat.
 
Ceci étant, la France s’est dotée d’un ensemble de textes permettant théoriquement d’assurer la protection et la restauration de son patrimoine naturel. Il y a d’ailleurs peut-être trop de textes et pas assez d’application. Ceux-là même qui votent les lois et sont censés les faire respecter sont les premiers à vouloir les contourner ou fermer les yeux lorsqu’elles remettent en cause des intérêts particuliers (l’inapplication des textes concernant la pollution de l’eau ou la chasse en sont de bons exemples). Comme le disait en 1970, Eugène Claudius-Petit,vice-président de l’Assemblée nationale et l’une des très rares personnalités politiques de l’époque à avoir fait preuve de clairvoyance sur les questions de pollutions de l’eau : “ Les lois nécessaires doivent être votées, même si elles ne sont pas toujours très populaires et se heurtent à l’égoïsme de chacun de nous ”. Dans le domaine de la conservation des milieux, des institutions comme les Parcs nationaux, les Parcs naturels régionaux ou les Réserves naturelles sont des outils efficaces dans leur ensemble. Mais ils ne peuvent assurer seuls, à long terme, l’avenir de la diversité biologique pour des raisons de taille , de représentativité des milieux et de distance (fragmentation des habitats originels). S’il n’y a pas une gestion de l’ensemble de l’espace qui tienne
compte de la diversité biologique (avec bien entendu des modalités différentes selon les territoires agricoles, forestiers, périurbains, etc. ) les espaces protégés ne feront que retarder les processus d’extinction, ils ne les préviendront pas. Les contrats territoriaux d’exploitation (CTE), les sites Natura 2000, les terrains du Conservatoire du Littoral et des Conservatoires régionaux d’espaces naturels, sont des outils adaptés à cet objectif pour peu qu’ils soient coordonnés ce qui est le rôle des schémas collectifs des espaces naturels et ruraux ( quelle différence entre les deux ?). Reste à les mettre en œuvre. Et l’on a vu avec les bloquages à propos de Natura 2000 et les pesanteurs qui grèvent le développement des CTE que ce n’est pas chose facile.
 
Dans le domaine de la conservation des espèces, la situation est très contrastée. Leur sort dépend, selon les cas,tout autant d’usages (chasse, pêche par exemple) que du maintien de la qualité des milieux qui leur sont nécessaires. Il est quand même paradoxal que des espèces considérées comme étant en “ mauvais état de conservation ” puissent être toujours chassées. Les outils législatifs et réglementaires existent , ce qui fait défaut, comme cela était évoqué plus haut , est la volonté de les utiliser.
 
Et puis il ne faut pas oublier des mesures simples, hors le champ des grandes machines législatives et réglementaires . Par exemple : éviter l’usage systématique de désherbants, laisser des gazons aseptisés retrouver des herbes folles, des fleurs et les papillons qui viennent les butiner, préférer les essences végétales locales (support d’insectes autochtones) aux exotiques, éviter les cheminements tout comme les bords d’étendues aquatiques bétonnés, etc. sont à la mesure de bien des municipalités de France en milieu urbain ou périurbain. Dans un avenir où l’essentiel de la population française vivra dans ces milieux, œuvrer pour la protection de la nature, ce sera aussi lui permettre de survivre ou de se réinstaller en ville et d’y cohabiter avec l’homme. Bien entendu cela ne peut concerner l’ensemble de notre patrimoine vivant (on voit mal le loup ou l’ours brun baguenauder dans le Parc de la Tête d’Or ou le bois de Vincennes…) mais cela peut permettre, de faire d’une pierre deux coups : agir efficacement et développer un état d’esprit de tolérance vis à vis du vivant qui puisse s’appliquer ailleurs.
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
Annexe . L’illustre naturaliste voyageur Alexander von Humboldt (1769-1859) est réputé avoir utilisé les termes de “ monuments naturels ” pour désigner des ensembles vivants dont il convenait d’assurer la sauvegarde . C’est à l’issue d’un périple de près de cinq ans dans les possessions espagnoles d’Amérique où il réalise avec le botaniste Aimé Bonpland un inventaire de la flore dont la richesse l’a littéralement fasciné et qui a donné lieu à de nombreux écrits qu’Humboldt aurait utilisé ce concept qui en fait un des précurseurs de la protection de la nature. Il faut noter que cette formulation associe culture (monuments) et nature.
 
1864-“ Man & Nature ; or Physical geography as modified by human action ”(George Perkins Marsh)
 
1876-“ Ne soyons pas trop optimistes en ce qui concerne la conquête de la nature par l’homme. A chaque victoire correspond une revanche. De prime abord chacune de ces victoires donne les effets escomptés. Mais, en second ou troisième lieu (effets secondaires ou tertiaires) les choses changent. Des effets imprévus annulent la signification des premiers (…). Nous devons, à tout moment, nous souvenir que nous ne devons pas nous conduire, vis-à-vis de la nature, comme des conquérants vis-à-vis d’un peuple étranger, comme des êtres en dehors de la nature, mais que notre chair, notre sang, notre cerveau appartiennent à la nature et que notre suprématie sur les autres êtres est seulement notre capacité à connaître et appliquer les lois de la nature ” ( Friederich Engels. Dialectique de la nature).
 
1906.Vote de la loi organisant la protection des sites et monuments naturels de caractère artistique.
 
1923.Réunion à Paris du Premier congrès international pour la protection de la nature : faune, flore , sites, monuments naturels à l’initiative de la Société nationale d’Acclimatation de France, la Ligue française pour la Protection des Oiseaux et la Société pour la Protection des Paysages de France.
 
1930.Vote de la loi relative à la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque. Un additif, adopté en 1957, permettra la création de “ réserves naturelles ”.
 
1943-“ Et la nature ? ” (Robert Hainard)
 
1946. Création d’un Conseil national de protection de la nature placé auprès du ministère de l’Education nationale puis de celui de l’Agriculture enfin de l’Environnement.
 
1948. Création, à Fontainebleau, de l’Union internationale pour la Protection de la Nature (UIPN) qui adoptera le terme “ conservation ” (UICN) à la place de protection en 1956. Cette transformation correspond à un changement de concept. L’homme n’est plus perçu comme un gardien de nature mais comme un conservateur qui admet que cette nature peut être modifiée, exploitée dans des limites raisonnables afin que les ressources naturelles puissent se renouveler. Cela conduira au lancement en 1980 de la Stratégie mondiale de la conservation : la conservation des ressources vivantes au service du développement durable prélude au rapport “ Notre avenir à tous ” de Gro Harlem Brundtland sur le développement soutenable (1987)
 
1950-“ Remarques sur l’écologie et la protection de la nature ” (George Petit)
 
1952-“ Destruction et protection de la nature ” (Roger Heim)
 
1965-“ Avant que Nature meure ” (Jean Dorst) et “ L’homme et la nature ” ( Michel-Hervé Julien).
 
1967. Décret instituant les parcs naturels régionaux .
 
1970. A l’initiative du Conseil de l’Europe, organisation de la première année européenne de la Conservation de la Nature. . Création d’une direction de la protection de la nature au Ministère de l’Agriculture.
 
1971. Création d’un ministère chargé de la protection de la nature et de l’environnement placé auprès du Premier ministre. M. Robert Poujade en est le premier titulaire. -“ La nature, problème politique ”. (Recherches et débats. CCIF.) et “ Socialisation de la nature ” (Philippe Saint-Marc).
 
1972-“ Expansion et nature : une morale à la mesure de notre puissance ” (Robert Hainard)
 
1976. Vote de la loi relative à la protection de la nature.
 
1985- Publication de “ Dans le jardin de la nature ” (Keith Thomas), “ Protection de la nature : histoire et idéologie. De la nature à l’environnement ” (sous la direction d’Anne Cadoret)
 
1988-“ La nature en crise ” (Philippe Lebreton)
 
1990-“ Le contrat naturel ” (Michel Serres)
 
1993-“ Les sentiments de la nature ” (sous la direction de Dominique Bourg)
 
1996-“ Natures en tête ” (textes réunis par Marc-Olivier Gonseth, Jacques Hainard et Roland Kaehr, à l’occasion d’une exposition du Musée d’ethnographie de Neuchâtel)
 
1997-“ Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l’environnement ” (Catherine et Raphaël Larrère)
 
1998-“ Au-delà de la nature l’environnement. L’observation sociale de l’environnement ” (B
ernard Kalaora)
 
1999- “ Politiques de la nature, comment faire entrer les sciences en démocratie ” (Bruno Latour)
 
2000. Ouverture à Paris de l’exposition “ Nature vive ” au Museum national d’Histoire naturelle.