Jacques Sémelin – La force de la non-violence


Jacques Sémelin / mercredi 18 juin 2003

 

Cosmopolitiques : Les questions de violence, de non-violence, de nature et de naturalisation sont partout présentes dans les articles de ce numéro, tout comme les formes d’action possibles face aux violences « invisibilisées » par les mensonges ou la routine ou bien, à l’inverse, rendues trop visibles par la stigmatisation dramatisée de certaines conduites. Sans doute faut-il préciser quelques définitions ?

 

Jacques Sémelin : Le rapport entre nature et violence est étroit puisque la conception classique de la violence en philosophie politique renvoie notamment à « l’état de nature », c’est presque un synonyme de « vie ». La racine latine « vis » exprime bien cette idée d’une « force en action ». En découle sans doute la propension à « naturaliser » la violence, à la renvoyer à un « état de nature » pré-politique relatif à la condition humaine voire animale, comme on le trouve chez Hobbes ou Nietzsche. Mais on peut penser aussi, avec Machiavel ou Raymond Aron, que la violence construit le politique, qu’elle en est l’affirmation intrinsèque, que c’est par la violence et la guerre que se fabriquent le pouvoir et l’État. Une autre approche classique de la violence, mais différente des précédentes, renvoie à l’idée d’injustice, en reliant la violence aux structures sociales, économiques, institutionnelles, autrement dit à la violence des systèmes. Une autre idée de la violence est encore de la percevoir avant tout comme un acte de « transgression ». Certes, toute transgression n’est pas violence, mais toute violence est transgression d’un code, d’une norme ou d’une loi. L’anthropologue Françoise Héritier écrit en ce sens que la violence est « effraction de l’autre », du territoire de l’autre. On est donc en présence de plusieurs approches complémentaires mais aussi contradictoires de la violence qu’il convient de distinguer comme nature, pouvoir, système ou transgression. Mais je voudrais attirer l’attention sur une autre définition de la violence, qui est son sens premier en français : la violence comme « abus de la force ». (…)