François Dubet – Violences à l’école et violence scolaire


François Dubet / mercredi 18 juin 2003

 

L’utilisation assez ignoble des faits divers violents et du sentiment d’insécurité par la plupart des candidats à l’élection présidentielle ne doit pas nous conduire, par un réflexe socialement aristocratique et intellectuellement « constructiviste », à ne voir dans ces affaires que des fantasmes ou des manipulations. Si la violence n’est pas partout, si elle cause moins de dégâts que les accidents de la route et que la simple bêtise, il n’empêche qu’elle est profondément traumatisante parce qu’elle relève d’une action délibérée, du désir et souvent du plaisir de faire souffrir, parce qu’elle touche aussi les plus faibles. Après tout, il n’est pas nécessaire d’être une disciple d’Élias (1973) pour admettre que tout l’effort de la civilisation a visé à réduire la violence civile, ni un disciple de Freud pour comprendre que la violence émerge quand les symboles et la culture s’épuisent. Le traumatisme de la violence scolaire est d’autant plus vif que l’école a longtemps été construite et pensée comme un sanctuaire préservé des désordres de la vie sociale, comme un Ordre Régulier à l’abri des passions du monde. Dès lors, l’indignation tient lieu d’analyse et insensiblement, on glisse vers une sorte de criminalisation des élèves ou, en tout cas, de certains d’entre eux baptisés « noyaux durs ».

 

C’est pour résister à cette inclination naturelle qu’il nous faut éssayer de réfléchir un peu en rappelant que ces élèves sont aussi nos enfants puisque c’est nous qui avons fabriqué l’école et la société dans laquelle ils vivent. Non seulement cette réflexion a été quasiment absente, ou si peu audible, dans la campagne électorale, mais, plus encore, les organisations enseignantes, comme les syndicats de policiers, de chauffeurs de bus et de contrôleurs de la SNCF ont trouvé dans la violence un thème revendicatif efficace. Être victime de violences rend légitimes toutes les revendications et l’on ne peut que déplorer, avec un mélange de tristesse et d’amertume, le silence des grands syndicats d’enseignants qui a accompagné cette vague sécuritaire, silence laissant accroire que tous les jeunes sont violents et dangereux et surtout que la violence est le principal problème scolaire. (…)