Francois Bégaudeau – Là-haut sur la République


Francois Bégaudeau / dimanche 14 janvier 2007

 

Au début d’Être et Avoir, on voit des bovins puis des écoliers, les premiers maintenus sur le droit chemin par le bâton d’agriculteurs durs à la tâche, les seconds par celui, virtuel, du divin M. Lopez, l’instituteur en charge de la classe unique du village. Entre les deux, transition sans à-coups : de grands sapins à peine mus par le vent du plateau, puis deux tortues pédagogiques arpentant le sol de la salle de classe à un rythme de dérive des continents. Gestes rares dans le froid, bruits étouffés de la vie enneigée, mouvements statiques : un (faux) rythme s’installe qui ne variera plus, même à l’été qui clôt l’année scolaire et le film. On est dans une temporalité sans événement ni rupture, dans une poche a-historique où rien ne s’ébranle ni ne s’altère, où les hommes éclosent comme les blés avant de laisser la place à d’autres, identiques à l’âge près, ne collant pas encore totalement aux canons de l’espèce (mais c’est l’affaire de quelques cycles de récoltes), minuscules parmi les chaises bientôt libérées par les CM2 admis au collège. Là haut sur la montagne toute différence est provisoire ; là-haut le singulier est du « même » en germe. Le petit Julien, enrobé comme son oncle, conduit déjà le tracteur dudit et reprendra la ferme familiale, comme à peu près tous ses condisciples, qui sinon, aimeraient bien faire la classe, comme celui qu’ils appellent « Maître », lui-même soucieux d’honorer la mémoire de son père, immigré espagnol assimilé sans heurt (c’était le bon temps) par la République française. Le film n’a pas d’autre, la classe pas de dehors ou presque. La caméra s’y blottit les neuf-dixièmes du temps, parti pris radical et auto-satisfait.

 

Que l’ordinaire de l’école des années 2000 ne ressemble pas à cette petite classe pacifique (comme on dit de certains mammifères), que les bancs de l’immense majorité des établissements ne soutiennent pas que des petits blancs loyaux à l’autorité traditionnelle, qu’on ne puisse en général pas s’y faire entendre ni respecter sans hausser le ton, contrairement à ce que peut se permettre le très doux, grand-paternel et monotone M. Lopez, Nicolas Philibert ne veut pas le savoir.