Dominique Boullier – Par-delà la nature et culture de Philippe Descola


Dominique Boullier / samedi 3 janvier 2009

 

Il est de bon ton dans les milieux écologistes, mais aussi chez les tiers-mondistes devenus altermondialistes, de vanter la sagesse des civilisations traditionnelles, exotiques pour nous, primitives devenues premières, qui auraient su garder des relations harmonieuses avec la nature. Nous aurions beaucoup à apprendre, voire même à transférer de chez eux pour sortir de la logique de destruction des ressources naturelles qui est la notre mais aussi de la destruction de nous-mêmes, de notre santé et de nos capacités spirituelles. Car non seulement les ex- sauvages ont su garder des rapports harmonieux avec la nature mais ils l’ont fait en atteignant un niveau de spiritualité bien supérieur à celui que nous avons pratiqué avec nos rites des religions du Livre par exemple. La vogue New Age ne se prive pas d’exploiter tous les filons de cette recherche d’authenticité, de civilisation non corrompue, et notamment en tentant de réconcilier le corps et l’âme, sans que l’on sache exactement ce que l’on a perdu d’ailleurs. La bonne volonté, la solidarité, la tolérance et la modestie anti-ethnocentrique de ces attitudes semblent indiscutables. Pourtant, grâce au travail décisif de Philippe Descola, il est grand temps de déplacer toutes les catégories que nous pensions pouvoir utiliser de façon courante, lorsque l’on vante les vert u s du chamanisme pour les thérapies les plus difficiles, lorsqu’on souligne le lien étroit du totémisme avec la nature, etc. Toutes choses qui ne sont que nos projections du Nord moderniste prolongées sous des atours de relativisme culturel ou de compassion mondialisée. L’entreprise de P.Descola est de celles qui fournissent un cadre durable pour s’orienter dans ces séductions éventuelles, mais aussi dans les débats entre anthropologues : c’est sans aucun doute l’effet de sa formation structuraliste, de sa filiation reconnue et assumée vis à vis de Levi-Strauss. Elle est aussi de celles qui décentrent radicalement le lecteur par rapport aux catégories habituelles, en fournissant sans y insister, une critique du modernisme qui complète à merveille celle entreprise par Bruno Latour. Elle constitue enfin une source incontournable de renseignements précis, de rapprochements féconds, issue d’une longue pratique de terrain d’anthropologue. Ses travaux sur les Achuar (Jivaros , Amazonie) ont fait référence, même si, dans cet ouvrage, ils restent mobilisés de façon mesurée, au profit d’une démarche comparatiste indispensable pour fournir des clés de compréhension.

 

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