François Grémy – L’enseignement de la santé publique : une greffe difficile


François Grémy / dimanche 18 janvier 2009

 

En septembre 1999, Alain Colvez et moi-même avions organisé un colloque à Montpellier sur la faiblesse et les carences de l’enseignement de la santé publique dans notre pays. Les questions que nous nous posions alors étaient : Quelles sont les causes de cette carence ? Quel traitement peut-on imaginer ? Destiné prioritairement à qui ? Et pour quels résultats espérés ?

 

Développer la santé publique, c’est ajouter à l’approche médicale traditionnelle, qui est le soin individuel aux malades, une composante collective et sociétale, et donner à la politique de santé la finalité globale de protéger, préserver, et si besoin restaurer la santé du « public », c’est-à-dire de la population générale, et pour cela de s’en donner les moyens. C’est donc un élargissement considérable de l’horizon sanitaire, puisqu’on intègre la population « saine » dans le champ de l’intervention, puisqu’elle est « à risque ».

 

Maximiser la santé (collective ou individuelle), c’est en fait minimiser les effets d’une mauvaise santé, c’est-à-dire les incapacités qu’elle entraîne : incapacités de « faire » (de fonctionner, disent les positivistes), pour soi et pour les autres, mais aussi les incapacités d’« être », comme insiste Paul Ricœur, élargissant ainsi à toutes ses dimensions l’humanité que la maladie ou le handicap menacent d’incapacité. Pourquoi, ce défi a priori si noble, puisqu’il s’agit d’une œuvre de solidarité, impliquant l’ensemble des professionnels de santé, les politiques, l’ensemble des citoyens, est-il si difficile à relever ? La réponse que je suggère s’appelle morcellement, découpage, fragmen- tation, balkanisation, disjonction, division, tous mots qui ont une conno- tation d’éclatement, de dispersion, de démembrement, et qui impliquent un dépérissement ou la dénégation des relations ou inter- actions envisagées à tous les niveaux : cloisonnement entre les entités matérielles, entre les personnes, entre les institutions. D’où le constat de perte de cohérence et de perte de sens. On oublie l’intuition de Pascal, « qui tient impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties ». La deuxième partie de la proposition pascalienne appar- tient à la pensée unique, galiléo-newtonienne et positiviste, de notre culture contemporaine ; la première au contraire fait scandale : n’a-t-elle pas un parfum d’ésotérisme et d’irrationalité ?

 

Cette fascination pour la division et la multiplication des « parties » se décline de multiple façon : l’épidémiologie, l’épistémologie, l’essence de la médecine et l’éthique.

 

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