Daniel Sibony – Santé : corps-visible et corps-mémoire


Daniel Sibony / dimanche 18 janvier 2009

 

Il y a la prise en charge médicale du corps-visible et la prise en charge psychologique du corps-mémoire. On serait tentés de repérer les erreurs ou les tares dans chacun des deux champs, et d’en appeler aux instances de pouvoir pour qu’elles réforment, qu’elles rectifient… Ce ne serait pas faux, et la liste de ce qui ne va pas est quasi interminable. Mais ce qui corse les choses, c’est que le corps-visible et le corps- mémoire ne sont pas séparables, ce ne sont pas deux pôles de l’être humain mais une dynamique d’entre-deux où l’ignorance de la psyché rend malade physiquement et où le mauvais traitement physique (qui frise la maltraitance) peut corroder le mental et ravager l’existence. C’est bien sûr au niveau de cet entre-deux que je me situe, mais cela n’exclut pas qu’à chacun des niveaux la carence est souvent la même : on méconnaît la dimension symbolique, qui fait l’essentiel de l’humain ; on la sacrifie au profit d’une logique de la gestion qui doit donner plus de confort au gestionnaire.

 

Parfois c’est caricatural, et les exemples foisonnent, (les médias n’en relaient que ce qui leur plaît). J’apprends que pour une intervention de plastie abdominale, aucune prescription d’anti-coagulant (pour éviter les risques d’embolie) n’avait été prévue ; le lendemain, la patiente va mal, alors l’anesthésiste… antidate la prescription d’anti-coagulant dans le dossier médical, devant l’infirmière. C’est le genre de « truc » technique qu’on rencontre bien ailleurs : on peut antidater la révision des freins des wagons lorsqu’on apprend qu’il y a eu accident. Le problème, c’est que même en gérant le corps humain comme une machine, gérée par d’autres machines, le risque d’accident exige un type de présence que n’ont pas les machines. J’ai développé les questions liées au technique dans un livre antérieur ; j’y montre comment l’accident, tel un lapsus délabrant ou fatal, interpelle les modes de présence, d’implication, de fonctionnement. Mais au moins, les machines sont plus honnêtes et plus fiables que par exemple cet anesthésiste qui endort les patients avec des doses très fortes pour être tranquille, et qui doit donc les réveiller avec des produits à fortes doses, ce qui leur fait courir des risques ; et chez certains, ces risques peuvent être graves. Ou encore (mais ça, c’est dans le privé), pour justifier les dépassements d’honoraires pour les patients en anesthésie locale, on pose un cathlon veineux pour simuler l’anesthésie générale ( !)… La même chose se rencontre dans la réparation des voitures : dépassement d’honoraires, pièce fictive, etc. On pense aussi à des procès très longs car les avocats des deux parties s’entendent pour reporter souvent l’audience, ce qui permet de grossir l’affaire, qui devient une « action » énorme.

 

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